Où le projet de loi de décentralisation en est-il?
J’ai eu un jugement sévère sur le texte gouvernemental qui a été scindé en trois parties : ces textes ne sont pas des textes de décentralisation. On ne peut plus parler d’Acte III de la décentralisation. C’était surtout des textes fourre tout, un bric à brac.
Ces textes n’allaient pas vers les objectifs souhaités, objectifs de simplification mais aussi de transferts de responsabilités de la part de l’Etat notamment vers les Régions.
Je pense aujourd’hui que la Gauche qui est à la tête à la fois de l’Etat au niveau national, au Gouvernement, au niveau du Président de la République, qui a une majorité parlementaire, une majorité dans les collectivités, doit faire preuve d’audace. Elle peut faire franchir une étape décisive dans l’organisation administrative française.
Un modèle centralisé qui n’est plus adapté
Cette étape décisive est rendue nécessaire par ce qu’est notre siècle, par ce que qu’est notre époque. Je crois que le modèle centralisé correspondait à l’époque révolutionnaire et surtout à l’époque napoléonienne, qui nécessitaient de construire l’unité nationale et une identité nationale. Le modèle centralisé correspondait au dix-neuvième siècle, à la fin du dix-neuvième siècle, et au début du vingtième à la construction d’une société industrielle.
Ce modèle ne correspond plus à une société, qui vit en réseau, qui est mondialisée. Si l’Etat doit conserver sa place, on va aujourd’hui vers des ensembles, dont la Région Rhône Alpes est un exemple, ouverts, organisés avec leurs propres réseaux : réseaux de recherche, réseaux économiques, réseaux culturels, ouverts sur le monde. C’est une autre façon que la concentration du pouvoir de répondre aux enjeux de notre époque.
Le rôle des Régons consolidé
Ce choix n’a pas été fait, je le regrette. Le texte qui vient maintenant découpé en trois parties dont la première partie traite de l’affirmation des métropoles. Ce texte vient d’être modifié par le Sénat qui a amélioré, ou plutôt gommé ce qui était complexité supplémentaire, en particulier sur la Conférence de l’Action publique qu’il a rapprochée de la Conférence des Exécutifs (1). Le Sénat a supprimé le Pacte de gouvernance territoriale.
Le Sénat a consolidé le rôle des Régions en particulier sur l’aménagement du territorial, qui avait disparu avec les Régions comme chefs de file, en rétablissant la compétence générale. Il n’a fait sur le tourisme et sur l’innovation en complément de ce qui était antérieurement déjà dans le texte, c’est-à-dire développement économique et transports.
La dernière ruse du pouvoir central
Les Régions ont été, on peut le dire, partiellement entendues. Restera à en trouver ensuite les déclinaisons dans le deuxième et le troisième textes. Mais le fait que le Gouvernement ait dès le départ mis l’accent sur les Métropoles et non pas sur l’égalité des territoires me parait un contresens. Cela est la traduction d’une pensée dominante qui croit que les métropoles sont les facteurs, les moteurs du développement économique. Je pense aussi qu’il y a une ruse, la dernière ruse du pouvoir central qui a appliqué le principe « diviser pour régner ».
Aux départements on donne le numérique, ce qui n’est pas cohérent en termes d’organisation, et la dernière ruse du pouvoir central c’est évidemment de créer de nouvelles structures. Il y a un mieux mais on est loin du compte.
Que deviendra ce texte ? Est-ce qu’il aura une majorité au Sénat ? Ce n’est pas évident. Même s’il a une majorité au Sénat, il devra aller en commission autour du 8 juillet à l’Assemblée nationale où le débat est prévu fin juillet. Si le texte du Sénat est adopté, l’Assemblée Nationale partira du texte du Sénat. Si ce n’est pas le texte du Sénat qui est adopté on revient au texte gouvernemental. Le travail du Sénat a été utile, il serait dommage qu’il passe par les pertes et profit et qu’on reparte sur un texte gouvernemental.
Le débat s’est surtout centré sur le débat entre Métropoles et Communes. Les Communes ont voulu obtenir des garanties, pour que l’évolution ne signifie par une disparition ou une absorption par les métropoles. En ce qui concerne les Régions, il n’y a rien de changé par rapport au texte initial puisque la question portait sur le développement économique qui doit être vu dans un deuxième texte.
Pas de concurrence entre Régions et Métropoles
Je pense que du côté du gouvernement, les choses ne sont pas encore claires. On ne peut pas établir de concurrence entre la Région et les Métropoles et en ce qui concerne la Région Rhône-Alpes ce serait une attitude suicidaire puisqu’avec la Métropole de Lyon il peut y avoir la Métropole de Grenoble.
Le seuil a été élevé puisqu’on est passé de 400 000 à 450 000 habitants. On voit bien la cuisine qui est en train de se faire derrière et je pense qu’on reviendra à 400 000 habitants. Mais pour l’économie régionale créer des concurrences serait suicidaire. Pourquoi ? Parce que le tissu économique régional est un tissu justement diffus, organisé en réseaux. Et qui jouent des fonctions complémentaires. Donc il faut conserver le rôle de chef de file de la Région qui est indispensable pour assurer, on le voit bien car le tissu de la Région Rhône-Alpes est un tissu qui est présent à travers les villes moyennes, à travers les Départements, qui peut s’organiser aussi en vallées. Pour le développement économique, on voit deux exemples, la Vallée de l’Arve, et la Plastic Vallée, en attendant d’avoir un jour la Solar Vallée, qui est un des projets phares de la relance de ce secteur, de l’INES.
Une myopie hexagonale
Il y a une espèce de myopie hexagonale de théoriciens qui ne voient pas comment se passent les choses dans le monde. On peut parler de la Silicon Valley, on peut voir aussi ce qui se passe en Inde. Le but n’est pas d’avoir des métropoles qui vont absorber le développement économique , mais c’est de pouvoir être organisés justement avec des territoires qui ont une forme de spécialisation. C’est la même chose en Italie. Rien n’empêche Milan de jouer son rôle de capitale mais la force de la Lombardie c’est ce qu’on appelle les districts industriels, ce réseau lié aux petites et moyennes entreprises. C’est la même chose en Allemagne. La puissance fédérale allemande est adossée au fait que les entreprises travaillent avec des banques régionales et à des pouvoirs politiques forts des landers. La clarification s’impose encore en France.
Recueilli par Michel deprost (michel.deprost@enviscope.com) et Sylvain Dhuissel (sdhuissel@lyonpoleimmo.com)
1) La Conférence des Exécutifs réunit déjà une fois par an autour du Président de Région les représentants des principaux exécutifs d’une Région.