Lauréate du Prix scientifique suisse Latsis 2023, la physicienne Lesya Shchutska, professeure à l’EPFL, consacre ses travaux à la recherche de particules encore inconnues, dont l’existence complèterait la validité du modèle standard d’explication de l’Univers.
Le modèle de l’Univers, dit » modèle standard » formulé il y a une cinquantaine d’années synthétise toutes les découvertes de la physique des particules. Il explique bien la matière ordinaire, avec 17 particules élémentaires dont le boson de Higgs, la dernière à avoir été révélée en 2012 .
Ce modèle présente toutefois plusieurs lacunes, que les physiciens et physiciennes tentent de combler. «Nous cherchons à compléter le modèle standard là où il ne permet pas d’expliquer certaines observations ou certains phénomènes, par exemple la matière noire», précise Lesya Shchutska. La chercheuse de 37 ans s’y emploie avec son équipe et ses collègues dans de nombreux instituts à travers le monde. Ces brillants travaux dans le domaine de la «nouvelle physique» et plus spécifiquement la recherche de particules qui élargiraient le modèle standard ont justifié qu’elle reçoive le Prix scientifique suisse Latsis 2023 par le Fonds national suisse ( FNS) . Le Prix est remis chaque année depuis 1983 par le FNS sur mandat de la Fondation Latsis Internationale, institution non lucrative d’intérêt public fondée en 1975, dont le siège est situé à Genève. Le prix est attribué à un·e scientifique de moins de 40 ans qui travaille en Suisse. Doté de 100 000 francs, ce prix est l’une des distinctions scientifiques les plus renommées. La remise du prix , conjointe avec celle du Prix Marcel Benoist) aura lieu le 30 octobre 2023 à Berne.
Les Olympiades internationales de physique comme point de départ Lesya Shchutska a toujours eu un intérêt marqué pour la physique, encouragée par son père ingénieur qui lui offrait des livres scientifiques pour assouvir sa curiosité. A 16 ans, la jeune Ukrainienne rejoint l’équipe nationale de son pays aux Olympiades internationales de physique en Indonésie : elle remporte la médaille de bronze, distinction qui lui ouvre les portes du prestigieux Moscow Institute of Physics and Technology, réputé dans le domaine de la physique.
Depuis son bureau au sixième étage de l’EPFL Lesya Shchutska détaille ses recherches actuelles. Tout repose sur les collisions de particules connues qui, dans des conditions spéciales, par exemple à de hautes énergies, pourraient faire apparaitre de nouvelles particules. Dans ce but la scientifique met au point des expériences, mesure, calcule, analyse des données, imagine, vérifie…Elle dispose de nombreuses données issues des expériences de collisions entre particules, notamment entre protons. Elle travaille avec certaines expériences du CERN ( Centre européen de recherche nucléaire, recherche sur le noyau des atomes) à la frontière franco-suisse, près de Genève . Lesya Shchutska particulièrement à vérifier l’existence de neutrinos lourds alors que le modèle standard ne prévoit que l’existence de neutrinos de masse faible.
La théorie des neutrinos lourds a été avancée par le Pr Mikhail Shaposhnikov de l’EPFL pour réconcilier le modèle standard avec certains phénomènes inexpliqués comme la nature de la matière noire. «Si on prouve l’existence des neutrinos lourds, il n’y aura besoin de rien d’autre pour expliquer les limites du modèle standard.» Mais ces particules, si elles existent, sont extrêmement difficiles à détecter, car elles interagissent très faiblement avec les particules connues.
La physicienne est l’une des personnes à l’origine du développement du détecteur de neutrinos au CERN dans le cadre d’une toute récente expérience. Elle pourrait aussi compter sur des outils encore plus puissants permettant de repousser les limites de la recherche. «Dans quelques années, nous devrions pouvoir réaliser 5 à 10 fois plus de collisions».
La fin d’un espoir presque décennal
A l’EPFL, Lesya Shchutska collabore avec d’autres scientifiques dans des expériences du CERN pour des mesures très précises de désintégrations rares de particules lourdes connues. Et si elle-même ne faisait jamais de découverte cruciale? «C’est en effet une possibilité. Dans tous les cas, les expériences que nous réalisons permettent déjà d’éliminer certaines hypothèses, ce qui est aussi une manière de contribuer à l’avancée de la science. Et nos recherches ont aussi d’autres applications, par exemple dans le domaine médical ou de l’analyse des données.»
Brève biographie
Lesya Shchutska est née en décembre 1985 en Ukraine, où elle a suivi sa scolarité. Elle a obtenu son Bachelor et son Master en physique des particules au Moscow Institute of Physics and Technology, avant de poursuivre avec un doctorat à l’EPFL, qu’elle a achevé en 2012. C’est durant ces années qu’elle met au point un détecteur pour un ballon stratosphérique mesurant les rayons cosmiques. Son but était de comprendre pourquoi ils étaient mesurés en excès. Une explication possible serait l’existence de matière noire. «Nous n’avons pas pu y répondre à l’époque et même à ce jour il n’y a pas de consensus sur la cause de cet excès.»
Lesya Shchutska réalise ensuite un postdoc au CERN avec le groupe de l’Université de Floride. Elle bénéficie ensuite d’un ERC Grant grâce auquel elle devient professeure assistante à l’ETH Zurich. Depuis 2019, elle est professeure assistante tenure track à l’Institut de physique de l’EPFL et également maman de deux jeunes enfants. Une responsabilité qu’elle partage avec son mari, un physicien russe qui travaille également au CERN.
Prix scientifique suisse Latsis