L’association Energie Cités réunit des villes européennes ( voir en note les adhérents de Rhône-Alpes )autour des questions d’énergie. Elle réagit au rapport sur les ” Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050″ remis récemment, et dit son désaccord avec une vision trop dominée par l’énergie nucléaire. Voici le communiqué d’Energie Cités
” La Commission Energie du Centre d’Analyse Stratégique vient de publier les Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050 au terme de travaux engagés au printemps 2006. Energie-Cités avait été invité à participer aux travaux du Groupe Energie du CAS. Cela nous a donné l’occasion de faire connaître nos points de vue à différentes étapes du débat. Alors que se déroule le Grenelle de l’Environnement, nous avons décidé de publier notre position sur le rapport présenté par M. Jean Syrota.
Energie-Cités a apprécié les avancées relatives à la place et au rôle des collectivités territoriales dans la politique énergétique. Cela s’est notamment traduit par la reconnaissance du fait qu’il y a bien quatre niveaux pertinents pour l’action (international, européen, national ET territorial) et non trois. Le dernier niveau – territorial, au sens de local et régional – était au départ contesté, ce qui apparaissait assez étrange à une association de villes européennes. Cela s’opposait tout simplement au bon sens, tant il est vrai que c’est toujours sur un territoire local que l’on vit, construit, se déplace, que l’on aménage, maîtrise (ou non) l‘usage
des sols, organise la mobilité, mobilise les ressources énergétiques locales, récupère et distribue l’énergie, etc. C’est là aussi qu’ont émergé durant ces dernières années, en maints endroits d’Europe, les innovations principales qui augurent d’un avenir énergétique durable.
La question climatique n’est pas la seule
Cependant, même sur la question territoriale, c’est malgré tout une approche top down et centralisée qui continue de marquer plus fondamentalement le rapport, la crainte d’incohérences éventuelles l’emportant sur l’intérêt d’un foisonnement d’initiatives, pourtant encore beaucoup trop limitées à notre goût. Une des principaux points de désaccord avec le rapport porte sur le parti pris de considérer la question climatique comme la seule qui vaille, la question énergétique, étant quant à elle réduite un sous-produit du climat. Le Rapport est pourtant intitulé : « Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050 ». Beaucoup de conclusions et propositions contenues dans le rapport découlent de ce postulat, y compris la négation du fait que nous entrerions aussi dans un nouveau paradigme énergétique – et non seulement climatique.
Or, on doit bien constater autour de nous qu’un tel nouveau paradigme se dessine dans un
nombre croissant de pays, de façon parallèle aux grandes tendances qui animent notre société (autonomie, décentralisation, circuits courts, rapprochements consommation-production, culture Internet, organisation ahiérarchique, etc.) qui surdétermineront beaucoup de nos choix technologiques futurs, dans le domaine énergétique aussi. Ce point est détaillé en annexe. Il résulte également du choix précité que des signaux sinon négatifs, au moins pas toujours très positifs, risquent d’être envoyés par ce rapport sur : le développement des énergies renouvelables, de la cogénération, de la responsabilisation des territoires vis-à-vis de leur approvisionnement énergétique, des économies d’énergie avec l’abandon de fait du Facteur 4, comme objectif mobilisateur en France, et même de
la nécessaire politique européenne, exploitant au passage une désaffection citoyenne que nous devrions tous souhaiter passagère.
Le rapport repose en fait largement sur le primat de l’énergie nucléaire, clé de voûte de l’ensemble du système électrique, lequel surdétermine largement à son tour le système énergétique dans son ensemble et au-delà des éléments de l’organisation de notre société. C’est le choix de la France depuis plusieurs décennies et il n’est pas ici dans notre propos de le remettre en cause, nos adhérents ayant des positions différentes sur ce sujet. Cependant, il n’est même pas envisagé la probabilité, même infime comme le sont tous les événements hautement improbables, d’un seul accident majeur durant la période 2007-2050, en France ou ailleurs, susceptible de renverser d’un coup le château de cartes.
Une plus grande flexibilité?
La « prévision de l’incertitude » ne plaide-t-elle pas pour une plus grande flexibilité ? Une plus grande diversité ? Enfin, il est toujours difficile – impossible ? – d’admettre l’assertion récurrente, mentionnée une nouvelle fois dans ce document, que l’indépendance énergétique de la France serait de 50%. Sauf erreur, à part l’hydraulique, l’éolien, le solaire, la géothermie, l’énergie issue des déchets et la biomasse (dont l’addition est loin d’atteindre un total de 50%), l’ensemble –ou peu s’en faut- de nos ressources énergétiques sont importées. En outre, on recherche régulièrement des explications à notre déficit extérieur du côté de notre balance énergétique quand nos voisins supposés moins indépendants que nous, connaissent des excédents commerciaux. Comment cela s’explique-t-il avec un niveau d’indépendance aussi élevé ? Pour ces différentes raisons, Energie-Cités, tout en saluant des avancées, ne s’associe pas aux conclusions du rapport.
Vers un nouveau paradigme énergétique ?
Ce qui suit n’est pas une description de la situation actuelle du système énergétique français. Il s’en faut même de beaucoup. Ce n’est pas non plus une prolongation tendancielle du passé. Sauf précisément à regarder ce qui bouge aux marges de notre système, en France, et de façon plus répandue dans des pays qui nous environnent.
Il s’agit d’une tentative d’anticipation plausible -et à notre sens souhaitable- de notre futur mode de pensée et d’organisation dans le domaine de l’énergie. L’évolution du transforme en effet les modes d’organisation des sociétés complexes, et il est peu imaginable que le secteur de l’énergie y échappe, fût-ce dans un pays où la chasse est aussi bien gardée.
De nouvelles hypothèses
Dans un univers, qui sera toujours plus marqué par de nouvelles contraintes énergétiques et climatiques, nous pensons que les hypothèses suivantes risquent de façonner de façon significative notre univers à l’horizon d’une génération:
o L’approche traditionnelle (et quasi exclusive) des questions énergétiques par l’offre va se déplacer progressivement vers une approche davantage guidée par la demande, laquelle va gagner en pertinence et en force. Les consommateurs n’ont en fait pas besoin d’énergie, mais seulement de services qui contiennent de l’énergie. Leur intérêt bien compris est de satisfaire leurs besoins finaux avec la moindre dépense énergétique. De ce fait, on va porter davantage attention que par le passé aux besoins de chaleur par exemple – 40% de la « demande » – ou pour les déplacements – 30% de la « demande » – plutôt que de parler surtout d’électricité, de gaz et de pétrole – sous-entendu « offre » – dans les débats énergétiques.
Réduire la demande
o La logique voudrait que ce déplacement de l’offre vers la demande s’accompagne d’un déplacement des financements consacrés à l’accroissement de l’offre (MégaWatts) vers ceux destinés à réduire la demande (NegaWatts). D’autant que chaque Euro investi pour consommer moins est plus rentable qu’un Euro investi pour produire davantage. Par ailleurs, un investissement de réduction de consommation produit outre de l’emploi dispersé, une économie nette pour le consommateur alors qu’un investissement dans l’offre se retrouvera sur la facture du consommateur. Chacun a entendu parler du coût d’une centrale nucléaire, même s’il ne s’en souvient pas. Mais qui a entendu parler du coût d’un vaste programme visant à isoler 400 000 logements par an ?
o L’approche (quasi exclusive) d’une offre centralisée (pour l’électricité, dont le modèle surdétermine l’organisation énergétique d’un pays – bien que ne concernant que 20% de l’énergie finale) va céder (au moins) un peu de place à une offre décentralisée, répartie, plus proche des lieux de consommation, selon un modèle ou demande et offre seront intégrés. Ce modèle devrait se développer à mesure que les besoins énergétiques finaux vont diminuer. Par exemple dans la construction, il deviendra davantage possible de couvrir la majeure partie de ses (faibles) besoins thermiques et électriques par des ressources renouvelables. Le concept Internet bouleverse l’organisation de la pensée et de beaucoup d’organisations, en mettant en relation directe et horizontale des producteurs-consommateurs
d’informations. Le web 2.0 accélère le processus. Qui peut penser que le système énergétique français, qui fonctionne en « château d’eau », comme l’informatique de grand papa, résisterait seul à la montée inéluctable de telles approches en réseau dans tous les domaines de la société ? Nous allons vers des schémas où consommateurs et producteurs seront en partie les mêmes.
D’autres niveaux de gouvernance
o L’approche énergétique (quasi exclusivement) étatique, va progressivement s’ouvrir à d’autres niveaux de gouvernance : régions, intercommunalités, au fur et à mesure que les deux éléments ci-dessus gagneront du terrain : on devra en effet agir au plus près des lieux de consommation et, si le niveau étatique est adapté pour offrir un cadre réglementaire et fiscal vertueux à une politique énergétique durable (de même que pourvoir à la partie centralisée de l’offre, directement ou par biais d’entreprises privées), il ne l’est
plus dès que l’on doit travailler dans le détail, dans le diffus, le dispersé, le foisonnement.
o L’approche (quasi exclusive) par secteurs de consommation énergétique (industrie, habitat-tertiaire, transport, agriculture) sera complétée d’une approche par type d’acteurs. Pertinente pour réaliser des statistiques et, le cas échéant, pour conduire des politiques industrielles sectorielles ou encore pour coller à des départements ministériels, l’approche par secteurs reste anonyme et ne responsabilise personne.
Vous sentez-vous concernés quand j’écris « habitat-tertiaire » ? Et si je vous dis « chauffage de VOTRE appartement », cela ne vous parle-t-il pas mieux ? Nous entrons dans une période ou l‘action consciente de chacun, sa responsabilité, est indispensable. D’ou l’importance des acteurs.
o L’exclusivité de la chose énergétique, présentement donnée aux spécialistes énergétiques patentés (ceux de l’offre), va s’émousser pour faire une place croissante aux acteurs non-énergétiques de la société. Un ravaleur de façade qui pratique l’isolation par l’extérieur aura surpassé le commercial gazier dans le nouveau contexte. Et que dire de l’urbaniste, du responsable du SCOT ou des déplacements, de l’architecte, des associations de consommateurs, du particulier-producteur, du couvreur installateur de panneaux solaires, de l’association de cyclistes, etc. ? Au-delà, les dimensions culturelles (voire émotionnelles) et sociologiques de l’énergie prendront une place croissante par rapport à la seule rationalité technique ou technico-économique.
o L’approche (quasi exclusivement) macro-économique / énergétique qui fournit des indications statistiques en terme de Giga TEP / Mégatonnes de CO2 au niveau national, va s’ouvrir à des approches davantage micro ou méso-économiques / énergétiques, à des échelles de territoires différentes, de l’appartement au
quartier et à la ville, à la région par exemple, encourageant les initiatives locales et l’implication des citoyens et acteurs économiques.
o L’approche (quasi exclusivement) française va devenir davantage européenne quelle que soit la volonté de la France de partager – ou non – ses compétences énergétiques avec l’Union européenne. D’où viennent en effet les reportages radio, écrits ou TV, les plus édifiants sur les solutions énergétiques d’avenir (consommation faible ou nulle + énergies renouvelables et décentralisés + transport publics et par modes doux), sinon d’autres pays européens ? Plus décentralisés -ou moins centralisés comme on voudra- ils autorisent et encouragent en effet une expertise mieux répartie et diversifiée permettant aux initiatives d’émerger et de se développer à plus grande échelle et a un rythme plus soutenu sur les territoires?
Produire plus qu’on consomme
o Nous irons vers des ruptures. Pour résumer, il ne s’agira pas de consommer un peu moins (être « un peu moins mauvais »), mais de consommer presque rien, voire rien du tout, ou même de produire plus que ce que l’on consomme (être « franchement bons »). C’est la différence entre l’actuel plan de réduction progressive de l’évolution de la règlementation thermique du bâtiment en France (un palier chaque cinq ans) et la démarche danoise (zéro énergie en 2015). Nul doute que le processus français apparaîtra vite obsolète car seule la rupture permet l’innovation, le changement d’habitudes et l’enthousiasme indispensables.
o L’approche européenne des problèmes énergétiques va s’ouvrir davantage à la dimension mondiale. C’est bien sûr le cas au niveau des grandes négociations internationales mais celles-ci laissent de côté l’implication des citoyens et autres acteurs, voire les déresponsabilisent. Inventer un mode de production / consommation (énergétique) qui soit compatible avec le développement de l’ensemble du monde est-il un challenge aussi fou dans une Europe en mal d’enthousiasme et de nouveaux défis ?
o La confiance dans les solutions universelles « pensées pour nous » est émoussée dans tous les domaines et à tous les niveaux de la société. La recherche d’une plus grande autonomie (qui n’est pas un isolement du monde extérieur) est visible partout. Celle-ci affecte(ra) aussi le secteur énergétique, de façon accélérée si quelques black-out électriques se présentent. De ce fait la recherche de solutions « personnelles », y compris pour se « dévulnérabiliser » quant à son approvisionnement énergétique, va se développer1.
o L’ouverture à la concurrence du secteur des énergies de réseaux, quelle que soit sa destinée finale, aura eu le mérite d’ouvrir les esprits et les systèmes aux expériences et traditions des autres. Dans notre pays qi a régulièrement tendance à se prendre pour un modèle universel, c’est une avancée considérable qui aura définitivement contribué à ouvrir le système dans le sens décrit ci-dessus.
Rappelons-le : les tendances décrites ci-dessus sont des hypothèses, lesquelles constitueraient autant de sujets de débat dès lors que l’on voudrait porter les questions énergétique et climatique non seulement à un haut niveau de décision comme à l’habitude, mais au coeur de la société. Ne pourraient-elles pas former la trame d’un futur énergétique désiré? Qui oserait d’ailleurs affirmer que notre futur énergétique sera davantage consommateur, plus émetteur de gaz à effet de serre, plus étatique, plus centralisé, plus exclusivement tourné vers l’offre, plus national, plus concentré entre des mains « spécialistes », moins citoyen, etc. ? Certaines de ces évolutions sont déjà perceptibles, avec des intensités différentes, aussi bien en Californie que dans plusieurs pays européens, y compris en France. La chose énergétique a besoin d’être davantage éclairée par son environnement sociétal. La question à l’ordre du jour ne doit pas être de nous protéger contre des évolutions qui bousculent les traditions nationales ou corporatistes, mais d’accompagner ces tendances,
de les anticiper et -pourquoi pas ?- de les désirer, afin de construire – et non subir – le nouveau paradigme qui se dessinerait. Pour mieux en tirer parti. Pour ne pas manquer les marchés émergents pour des technologies décentralisées, des concepts intégrés, etc., comme nous avons manqué ceux de l’éolien dans les années 90 et au-delà, pour des raisons identiques.
Au moment où ces lignes sont écrites, il n’est pas sûr que la France en prenne le chemin. Et le Rapport du « Groupe énergie » du Conseil d’Analyse Stratégique ne nous rassure pas à cet égard.
1 De telles solutions se développent en relation avec les réseaux qui apportent la solidarité en complément de l’autonomie, ceci est une tendance à prendre en compte : les réseaux de « distribution » pourraient s’appeler de « collecte et de distribution » (cf. Internet cité plus
haut). L’histoire nous a souvent montré que ce sont les événements inattendus qui ont, sous forme de crises (chocs, guerre, accidents, attaques terroristes, etc.), le plus altéré / influencé nos politiques. A lire le rapport du « Groupe Energie » du CAS, nous avons le sentiment que l’incertitude nous est étrangère et que – malgré des concessions de terminologie – nous mettons beaucoup de nos oeufs dans un même panier. Et ce faisant,
nous courons le risque de ne pas nous préparer suffisamment à l’imprévu, ce qu’une plus grande flexibilité
pourrait faciliter.
Gérard Magnin, Energie-Cités.
Plus sur www.energie-cites.eu
Le titre et les intertitres sont de la rédaction d’Enviscope.
Les institutions suivantes sont adhérentes d’Energie Cités: Agence locale de l’énergie de Grenoble, Ville de Grenoble, METRO – Communauté d’Agglomération de Grenoble, Montmélian, Echirolles, SIEL – Syndicat Intercommunal d’Energies de la Loire, AMORCE – Association de collectivités pour la gestion des déchets, les réseaux de chaleur et la gestion locale de l’énergie.