Saisi par plusieurs organisations le Conseil d’État a rendu le 26 juillet une décision dans la lutte contre les pesticides, en annulant, car insuffisamment protectrices, plusieurs dispositions encadrant leur épandage près des habitations.
Le Conseil d’État avait été saisi par plusieurs associations (AMLP, Collectif Victimes pesticides de l’Ouest et du Nord, Eau et Rivières de Bretagne, FNE, Générations Futures, UFC Que Choisir, Vigilance OGM) sur le dossier des épandages agricoles. Dans une décision du 26 juillet, il relève l’insuffisance des distances minimales pour les produits suspectés d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) – plusieurs pesticides relevant de cette catégorie. Il pointe l’absence d’information réelle des riverains en amont des épandages et l’insuffisante protection des riverains et travailleurs dans les zones concernées.
La haute juridiction rappelle au Gouvernement l’importance de la protection de la population contre les méfaits des pesticides et l’invite à prendre sérieusement en compte l’avis des scientifiques en revoyant en profondeur sa copie sous six mois.
Cette décision prend en compte des décisions antérieures de l’État. Depuis 2016, une circulaire de la Direction générale de l’alimentation recommandait des distances minimales pour les épandages de pesticides à proximité des habitants : cinq mètres pour les céréales et les légumes, 20 mètres pour la viticulture et 50 mètres pour l’arboriculture. Mais en 2017 un arrêté a diminué très fortement ces distances de sécurité sans justification scientifique sérieuse, selon les associations.
L’État freine l’instauration de protections fortes
En juin 2019, suite à l’action juridique de plusieurs associations, le Conseil d’État annulait en partie cet arrêté pour deux motifs : il assurait une protection insuffisante de la ressource en eau d’une part, et des riverains des zones traitées d’autre part. Le Gouvernement avait revu le cadre mais en maintenant des distances ridiculement faibles. Ces distances pouvaient être abaissées dans le cadre de chartes d’engagement départementales rédigées par les agriculteurs eux-mêmes et réduisant dans la plupart des cas les distances d’épandage à 3 mètres pour les céréales et légumes, 5 mètres pour les vignes et les vergers. Alors que ces chartes devaient être soumises aux riverains et aux élus locaux, début 2020, plusieurs décisions du Gouvernement autorisaient les agriculteurs à appliquer leurs chartes sans la moindre consultation.
Synthèse de l’Inserm
Une publication du 25 juin de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) met en lumière le risque accru de maladies (cancer, troubles du développement…) chez les riverains d’exploitations agricoles et notamment chez les jeunes exposés aux pesticides au cours de leur développement.
Le Conseil d’État partage la préoccupation des experts. Il indiquait dans un avis de 2019 que les riverains devaient « être regardés comme des habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme ». Il confirme aujourd’hui son analyse en indiquant que « plusieurs études ont mis en évidence […] une corrélation entre l’exposition à ces produits résultant de la proximité du lieu de résidence avec des zones agricoles et une augmentation du risque de développer certaines maladies ».
Forte suspicion
De nombreuses molécules de pesticides sont fortement suspectées d’être cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) ou d’être des perturbateurs endocriniens. Au regard du risque accru que ces substances font courir aux populations riveraines, le rapporteur public avait demandé que 35 substances actives ne puissent être pulvérisées à moins de 20 mètres des habitations. Le Conseil d’État note que « l ’avis de l’Anses du 14 juin 2019 […] recommande de prévoir des distances de sécurité supérieures à 10 mètres pour l’ensemble des produits classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, sans distinction des catégories de danger prévues par le règlement du 16 décembre 2008 ». En rappelant le principe de précaution, le Conseil d’État invalide donc les distances minimales pour les produits suspectés d’être CMR, et demande donc qu’elles soient revues à la hausse.
Les associations exigent que le Gouvernement remette la santé des riverains et des utilisateurs de pesticides au cœur de ses préoccupations en adoptant « immédiatement, sur la base des recommandations scientifiques, des distances minimales réellement protectrices, et en garantissant une meilleure information des riverains en amont de l’utilisation des pesticides. » Elles demandent l’arrêt de « la mascarade sur la consultation actuelle autour des chartes d’engagement que le ministère de l’Agriculture relance en catimini et en pleine torpeur estivale pour réduire les distances d’épandage alors même que le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’État […] ont rappelé que celle-ci relevait du domaine de la Loi. »