Le livre Habiter avec les loups est le produit d’une recherche-action sur le terrain, en Belledonne, de scientifiques soucieuses de décrypter les relations complexes, méconnues, entre acteurs du pastoralisme confronté à la présence des loups. Un récit parfois ardu, mais constructif pour faire évoluer un écosystème souvent conflictuel.
Le thème » du loup », est en général depuis la réapparition du loup en France, un thème qui clive parfois violemment la société. D’un côté les “ pro-loup », qui accorde un priorité absolue à la protection du canidés, de l’autre les » adversaires » du loup qui voudraient seulement sa mort.
A cette opposition, sans nuances, la réduit Recibiodal, issu d’une recherche menée par des scientifiques du laboratoire PACTE de l’Université de Grenoble, propose une approche totalement différente. Une rupture, dans le fond comme dans la forme. Coralie Mounet est géographe, chercheuse au CNRS au laboratoire PACTE, spécialiste de la relation humains-animaux. Edith Chezel est l’auteure d’une thèse sur les pratiques collectives de gestion de l’environnement.
Ici, pas de témoignages sanglants, pas de dénonciation, pas de violence, pas de parti pris, mais le récit de rencontres, de dialogues avec les acteurs qui vivent dans le massif de Belledonne, en Isère, éleveurs, bergers, paysans, villageois, et ceux qui y séjournent, touristes, et ceux qui y passent, randonneurs. L’enquête a permis de rencontrer la Fédération des Alpages de l’Isère, les équipes d’Espace Belledonne, des représentants de la Société d’Economie Alpestre ( SEA).
Les loups, et non pas » le loup »
Le parti pris de proximité, de terrain, se reflète dans les mots. Il n’est jamais question “ du loup”, comme un personnage mythique, unique, mais des loups, dans leur diversité, de situation, de comportement, de rapports avec les hommes, avec les troupeaux, avec les chiens de bergers, les fameux patous.
Le parti pris de recul, de dé-dramatisation, comme la volonté de garantir la liberté d’expression , de ne pas nommer, donne un récit tout à fait désincarné surtout pour des lecteurs avides de sensation. On ne sait jamais précisément qui parle. Il aurait fallu, au moins dans une introduction, décrire sur une carte, les lieux , les villages, les paysages. Il aurait fallu donner les chiffres sur les éleveurs, les troupeaux, les enjeux économiques et sociaux, capitaux pour une activité fragile comme le pastoralisme, dont les enjeux dépassent le cadre local. De même des légendes de belles et nombreuses photos, auraient permis de mieux comprendre le paysage, de mieux faire découvrir ( pour ceux qui ne connaissent pas) ou redécouvrir ( pour ceux qui connaissent) le massif de Belledonne
Mais cette réserve mise à part, Habiter avec les loups a le mérite immense d’ aller au fond des enjeux. L’intérêt justement du refus de la dramatisation est de donner à écouter les acteurs . Les éleveurs, les bergers, les restaurateurs, les randonneurs expriment leurs points de vue.
On se rend ainsi compte des fossés, de l’ignorance qui séparent les randonneurs et les bergers. C’est le signe d’une surfréquentation urbaine, d’une coupure entre ville et montagne, de la conception de la montagne terrain de jeu, voire de performance qui habite certains pratiquants. On se rend compte de la méconnaissance quant au métier de berger, parfois idéalisé.
Des rencontres naît le besoin de mettre tous les acteurs en lien, pour une meilleure compréhension mutuelle, pour des initiatives, permettant de libérer les berges de leur isolement , de les rapprocher des villageois. C’est tout un écosystème loups-troupeaux éleveurs- bergers- chiens- restaurateurs, randonneurs qui mérite une sorte de mise à jour, pour la possibilité d’une cohabitation plus intelligente.
Habiter, avec les loups, récit d’une recherche action en Belledonne, textes Edith Chezel et Coralie Mounet, photographies Pierre Witt, 173 pages éditions Libel, Lyon, 20 euros.