Jean Eudes Moncomble, secrétaire général du Conseil français de l’énergie, membre du Conseil mondial de l’énergie, rappelle l’importance d’une approche indépendante des questions énergétiques, sous l’angle de la sécurité, mais aussi de l’équité d’accès et de la durabilité. Le Conseil mondial de l’énergie vient de publier le classement mondial des états, selon ces trois critères.
Quand le Conseil mondial de l’énergie a-t-il été créé ?
Jean Eudes Moncomble : Le Conseil français de l’énergie a été créé en 1923, en même temps que le Conseil mondial de l’énergie. Au lendemain de la première guerre mondiale, les systèmes électriques qui commençaient à être développés devaient être étendus. Il était nécessaire de voir comment ce développement pourrait être réalisé. Seize pays ont adhéré au Conseil mondial dont la France, et au fil des années le Conseil s’est intéressé au-delà de l’électricité à toutes les énergies et récemment aux questions de climat.
Comment le rôle du Conseil mondial de l’énergie se différencie-t-il de celui de l’Agence internationale de l’énergie ?
L’Agence internationale de l’énergie, dont le siège est à Paris, organisation supra gouvernementale, représente les États. Le Conseil mondial de l’énergie représente le monde de l’énergie, des entreprises, des filières, des ingénieurs, des académiques. Il réfléchit en toute indépendance sur les questions de l’énergie, autour de questions techniques, mais aussi de préoccupations sociales, qui rejoignent les démarches des Nations Unies sur les objectifs du développement.
Plus peut-être que l’Agence internationale, le Conseil de l’énergie s’intéresse à la dimension globale, humaine et sociale, à travers plusieurs critères : la sécurité, l’accessibilité, la durabilité des systèmes énergétiques. Les deux tiers de nos membres appartiennent à des pays en voie de développement.
Le Conseil exprime cette approche mondiale dans son rapport annuel qui vient d’être publié et montre comment les pays se classent par rapport à ces critères globaux.
Qu’est-ce que la sécurité dans le domaine de l’énergie ?
La sécurité énergétique est le fait de pouvoir disposer physiquement d’une ressource énergétique, elle suppose une production suffisante, grâce à des ressources naturelles, ou grâce à des systèmes de production, grâce à des interconnexions avec des systèmes de production.
L’accessibilité ?
L’accessibilité suppose que cette énergie produite, soit accessible techniquement, mais aussi économiquement à chacun , au plus grand nombre. Il faut ainsi se souvenir qu’un milliard de personnes ne disposent pas du moindre accès à l’électricité. Trois milliards de personnes n’ont pas accès à un mode de cuisson efficace sur le plan énergétique. Elles doivent se contenter d’énergies comme le bois dont la collecte détruit une partie des milieux, dont la combustion pose des problèmes sanitaires.
Et la durabilité ?
Le Conseil étudie aussi la manière dont les énergies sont durables c’est-à-dire la manière dont elles impactent l’environnement. Nos conclusions rejoignent celles du Groupe international d’experts du climat, le Giec, sur la nécessité d’adopter des systèmes énergétiques qui émettent le moins possible de gaz à effet de serre.
L’énergie est-elle indispensable au développement ?
On observe un lien fort entre manque d’énergie, sous-développement, pauvreté, et même parfois instabilité sociale et politique. L’énergie est en effet à la base de tout développement. Autant que l’absence d’eau, l’absence d’énergie facilement disponible est un fardeau supporté chaque jour par des millions de femmes. Comme les femmes ont la charge de la corvée de l’eau, elles ont la charge de la corvée du combustible, du bois pour cuisiner. C’est une tâche qui prend beaucoup de temps et entraîne beaucoup de fatigue, de même que la cuisson des aliments. Tout ce temps est autant de temps pris sur d’autres tâches, pour échanger avec d’autres femmes, pour s’informer.
Qu’apporte l’énergie ?
Dans un village l’énergie transforme la vie. Elle permet de s’éclairer, de conserver par le froid, elle permet de communiquer, de regarder la télévision ou de recharger un téléphone mobile.
Comment combler cet énorme fossé du sous-développement ?
Le comblement de ce fossé passe par la coopération, par la mise à disposition de technologies adaptées à des couts accessibles, ce qui pourrait supposer l’abandon de certains droits de protection industriel.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Le Conseil français, comme le Conseil mondial, est un lieu où sont discutées librement entre spécialistes les questions de l’énergie. Nous ne prenons pas de décisions et ne sommes pas dans l’arène politique. Nous sommes indépendants et à l’écart des modes, des engouements.
Nous nous posons des questions lorsque nous voyons un pays comme l’Allemagne investir 9 milliards d’euro pour l’hydrogène ou la France 7 milliards d’euros. Nous nous interrogeons, sur le véritable intérêt de l’hydrogène en particulier des conditions de sa production, qui n’est pas intéressante si elle est réalisée avec des énergies fossiles, ou si l’hydrogène est obtenu en craquant des molécules de gaz naturel.
Les questions d’énergie doivent être abordées avec recul et rigueur.