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La science doit apprendre à dialoguer avec la société

Collectivement et individuellement, les scientifiques doivent apprendre à parler à une société qui doute. La raison et la rationalité doivent revenir dans la culture commune pour permettre à la société de fonder sainement et sereinement ses décisions.

Mathieu Guillermin, enseignant, Physique et philosophie, Université Catholique de Lyon photo UCLY)
Mathieu Guillermin, enseignant, Physique et philosophie, Université Catholique de Lyon (©UCLY)

Qui croire ? La période actuelle met en lumière le rôle de l’expert scientifique dans la société, ainsi que les limites ou défis de son intervention. Aujourd’hui, la parole des experts est de plus en plus remise en question. Ils sont nombreux à s’exprimer et sont souvent en désaccord. Parfois, ils se trompent, leurs prédictions ou affirmations sont démenties par les événements. Résultat : toutes les conditions sont réunies pour contester les conclusions des experts scientifiques. Des groupes de plus en plus influents mettent en doute la validité de leurs déclarations, voire leur honnêteté elle-même.

Face à cette perte de confiance, il faut prendre en compte différents éléments pour évaluer l’autorité de la science et mieux comprendre ce qu’il faut en attendre.

L’avènement de la société moderne est indissociable du triomphe de la science. C’est grâce à elle que le progrès, la justice et même la démocratie ont pu s’installer. Il a fallu quelques siècles pour que la rationalité occupe tout l’espace dans un mouvement irréversible.

Historiquement, traditionnellement et culturellement, nous sommes formatés pour penser que la science est le territoire de la rationalité et des certitudes absolues. Une conviction héritée de la Renaissance, notamment, et de la révolution scientifique, autour de grandes figures pionnières comme Galilée, Descartes ou Newton et de la philosophie des Lumières.

À l’opposé de la croyance, la science applique une méthode universelle et neutre. Elle apporte donc des connaissances certaines et objectives, en s’appuyant exclusivement sur le calcul logico-mathématique et l’expérience empirique. Forte de cette méthode rationnelle infaillible, la science est parée d’une valeur toute particulière, qui justifie que nous lui accordions une confiance absolue. Libérée de tout biais, la science atteint le vrai et permet de combattre l’ignorance, l’arbitraire et la superstition. Voilà pourquoi nous comptons sur la science pour trouver des solutions rationnelles, donc fiables, à tous nos problèmes.

La vérité scientifique résout les problèmes de la société

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il existe une sorte de contrat social entre les scientifiques et la société : la société finance la science en laissant les scientifiques indépendants, afin qu’ils puissent établir des connaissances certaines. En retour, la science apporte la vérité scientifique à la société et lui permet de résoudre tous les problèmes qu’elle rencontre.

Il est indéniable que le développement de nos sociétés occidentales n’aurait pas été aussi fulgurant sans l’apport de la science. Mais peut-on vraiment tout attendre de la réflexion scientifique ?

De la déception à la défiance

La période récente a ébranlé l’idée d’une science toute-puissante. Cette conception d’une science infaillible et le contrat social qui lui est associé sont très enracinés. Mais ils montrent de plus en plus leurs limites et génèrent problèmes et incompréhensions, tout particulièrement dans le contexte de crise sanitaire que nous traversons depuis plus d’un an, mais pas seulement.

Comment est-il possible que les experts scientifiques ne soient pas d’accord ? Comment est-il possible que le scientifique n’ait pas la réponse ou même puisse se tromper ?

Les grandes catastrophes technologiques (Tchernobyl, Fukushima par exemple), l’incapacité manifeste de la science à nous faire surmonter les grands défis actuels (environnement, changement climatique, épuisement des ressources fossiles, pandémies…), les scandales de conflits d’intérêts ou de fraudes… Autant d’éléments concrets qui peuvent légitimement nous faire douter de la science et des scientifiques.

Des conséquences politiques et sociales dangereuses

La décrédibilisation de la science n’est pas sans risques. Le contraste entre la conception traditionnelle d’une science omnipotente et les échecs vécus dans la réalité entraîne une immense frustration, qui ouvre la voie à des attitudes de défiance ou de rejet pur et simple de la parole scientifique. En particulier lorsque l’expertise scientifique contredit les convictions et les opinions des individus. Les acteurs politiques peuvent aussi exploiter cette défiance lorsqu’elle sert leurs intérêts…

En résumé, les promesses de la conception traditionnelle de la science (connaissances certaines, vérités scientifiques qui vont résoudre les problèmes sociétaux) ne sont pas tenues et cette défaillance ouvre la porte à la post-vérité et un boulevard aux « fake-news », les fausses nouvelles. Des anti-science aux anti-vax, toutes les paroles finissent par se valoir dans un grand nivellement facilité et accéléré par les réseaux sociaux, comme cela a été largement mis en lumière.

L’actualité illustre en permanence la grande bataille qui se mène dans certains médias comme dans l’opinion publique.

Pourtant il ne faut pas se tromper de combat. Cette conception ancrée d’une science infaillible est, à mon sens, erronée. Les problèmes politiques et sociaux dont nous venons de parler pourraient être mieux gérés en partageant une conception plus fine de l’expertise scientifique.

La science n’est pas infaillible

L’erreur fondamentale est là. Il n’y a pas de méthode absolue de connaissance dont les scientifiques seraient dépositaires. Même en faisant de très bonnes expériences et de très belles théories, on peut se tromper : une théorie scientifique ne flotte jamais dans l’éther, elle s’appuie inévitablement sur des à priori, souvent très évidents, mais jamais vraiment prouvés. On peut ainsi partir sur de faux à priori, avoir des surprises … Cela ne signifie pas que les théories scientifiques sont toujours fausses. Mais plutôt que l’on ne peut avoir de certitude absolue sur la vérité d’une théorie.

Une éthique des communautés scientifiques

La valeur de la science est à chercher ailleurs. La force de la science ou des sciences ne vient pas d’une méthode infaillible, mais de la capacité à construire et faire vivre des communautés de chercheuses et de chercheurs qui discutent dans de bonnes conditions non seulement des résultats, mais aussi des méthodes et des hypothèses d’arrière-plan. Leur démarche est faillible et ne peut fournir de résultats absolument certains. Mais si une communauté fonctionne bien, alors on est en droit de lui faire confiance et d’accorder de la valeur aux résultats qu’elle obtient, de considérer qu’ils sont vrais. Ou en tout cas qu’ils s’approchent davantage de la vérité que d’autres affirmations produites dans des contextes moins sains. Rappelons-nous que derrière les raisonnements et démonstrations scientifiques, il y a des humains.

La vraie question est donc la suivante. Qu’est-ce qu’une communauté de scientifiques qui fonctionne bien ? Des personnes honnêtes, bienveillantes, sans tabous ni conflits d’intérêts, qui prennent le temps de réfléchir et de travailler de manière éthique et loyale. La quête responsable de vérité gagne peu à peu en rationalité lorsque les débats collectifs sont sincères et sereins.

La force du consensus scientifique collectif

Il faut donc faire la différence entre la parole officielle d’une communauté scientifique et les avis personnels des scientifiques, pris individuellement.

Il n’est donc question ni de faire confiance aveuglement aux scientifiques car ils seraient infaillibles, ni de remettre systématiquement en cause les résultats scientifiques… L’enjeu est plutôt de faire confiance ou de douter intelligemment, en fonction de ce que l’on sait de la qualité des communautés concernées.

Même lorsqu’on décidera qu’une communauté est digne de confiance, cela ne signifie pas que les résultats ne seront jamais pris en défaut : seulement qu’ils sont ce qu’on a de mieux à l’instant T et qu’il faut donc se baser dessus.

Par ailleurs, il faut distinguer la parole scientifique collective, validée par la communauté et les prises de paroles individuelles, qui n’ont pas le même statut. Un expert scientifique devrait être un porte-parole de l’état du consensus et des débats au sein de la communauté dont il fait partie. Car il peut y avoir des désaccords. En dehors du périmètre collectivement validé, l’expert devrait donc être capable de dire : « sur cette question, je ne peux que vous donner mon avis personnel, mais il n’a pas la même force que lorsque je rapporte les consensus de ma communauté ».

Enfin, il faut prendre conscience que des divergences d’analyses scientifiques peuvent refléter des éclairages différents et complémentaires sur une même problématique : dans le cas de la gestion de la pandémie, les visions du médecin ou de l’urgentiste, du virologue, de l’épidémiologiste peuvent déjà ne pas être unanimes. Plusieurs vérités, des résultats divergents mais pourtant valides, s’entrecroisent.

La place de la parole scientifique dans la décision politique

Ce dernier point est particulièrement important. Même lorsqu’ils sont dignes de confiance, les apports des communautés scientifiques n’ont pas forcément vocation à résoudre à eux seuls les problèmes sociétaux. Ces problématiques complexes doivent parfois combiner les apports de différentes disciplines et tenir compte aussi du débat public.

L’exemple du confinement d’une région ou d’un pays est un cas concret qui illustre à merveille les enjeux et les limites de la parole scientifique, selon ce spécialiste. Il faut bien sûr se baser sur l’apport de la communauté médicale. Mais on ne peut pas se passer de l’analyse des économistes, des sociologues, des psychologues… Et tout ce patchwork de connaissances venant du monde académique doit encore trouver sa place face aux réalités vécues par les membres de la collectivité. On voit bien qu’une telle question ne peut en aucun cas être traitée correctement par un expert isolé. Il est impossible de faire l’économie du débat public et de la sphère politique, dont la rationalité reposera aussi sur la qualité, l’honnêteté et la sincérité des échanges.

Les experts devraient donc avoir un rôle de contributeur pour éclairer une question. Il faudrait ensuite avoir une réflexion collective argumentée sur ce qu’il convient ensuite de faire, à partir des différents éclairages.

En conclusion, il n’est pas envisageable de déléguer intégralement la réflexion à tel ou tel expert, ni à un collectif. Les experts scientifiques ne peuvent nous apporter de réponses intégrales, ni de certitudes absolues. La société doit jouer son rôle en discutant le plus sainement et sereinement possible à partir des éclairages de communautés d’experts, dignes de confiance. Au final, aussi difficile à prendre qu’elle soit, la décision politique doit absolument être motivée par des arguments solides pour gagner en rationalité et faciliter son acceptation sociale.

  1. Mathieu Guillermin est Docteur en physique et en philosophie, maître de conférences à l’Université Catholique de Lyon, spécialiste de la notion de rationalité, des questions philosophiques et éthiques soulevées par les nouvelles technologies numériques : big data, intelligence artificielle, robots…

 

 

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