Le jour d’après

La crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid 19 pousse à penser, pour demain, à un modèle de société fondé sur le développement durable, la décentralisation, les territoires, et la société civile. L’État centralisé montre ses limites, un modèle girondin doit être adopté, estime Gaël Perdriau, Maire de Saint-Etienne, Président de Saint-Etienne Métropole et Vice-Président des Républicains.

Gaël Perdriau
Gaël Perdriau, maire de Saint-Etienne, président de Saint-Etienne Métropole.

Il aura suffi d’un simple organisme, des milliards de fois plus petit que chacun d’entre nous, pour que toute notre société bascule. Un virus, dont la simplicité effrayante n’a d’égal que sa raison d’être : survivre en tuant. Aujourd’hui, les décideurs, dans tous les domaines sans exception, doivent, au-delà de la gestion quotidienne de la crise, s’interroger sur l’après. Car il y aura un “jour d’Après”.

Plus que jamais, en tant que responsables politiques, notre devoir moral est de tracer, tous ensemble, les contours d’une nouvelle société rompant avec le culte du court terme pour renouer avec le sens de l’histoire. Une société qui ne ferait plus du lendemain son seul horizon temporel et de l’opinion le seul critère décisionnel. Une société sachant décliner tous les âges de la vie et acceptant, enfin, cette évidence : nous sommes tous mortels. Une société dont il faudra définir une nouvelle dynamique, comme le fit le Général de Gaulle, avec le programme du Conseil National de la Résistance au lendemain de la guerre.

En effet, jamais la France, depuis “l’Étrange défaite” de 1940, n’aura connu pareille humiliation. Les images des combattants des temps actuels, les soignants, livrant une lutte héroïque, avec parfois de faibles moyens, contre un ennemi invisible, viennent s’entrechoquer avec celles des gens fuyant les villes. Le sépia des images de mai 1940 cède le pas à l’instantanéité colorée de celles saisies par les téléphones portables.

Un pouvoir jacobin exsangue

Il faudra attendre la fin de cette crise pour interroger un pouvoir jacobin aujourd’hui exsangue, presque à l’agonie, pour comprendre ses mécanismes et sanctionner, au besoin, une nouvelle “trahison des clercs”. Aujourd’hui, les élus locaux, dont le pouvoir central semble soudainement apprécier une utilité trop longtemps dédaignée, doivent gérer une situation devenue quasiment incontrôlable faute d’une réelle évaluation et anticipation par un pouvoir exécutif aveuglé par sa propre morgue. Comment interpréter autrement les volte-face successives de l’exécutif sur le port généralisé ou pas des masques ?

Au-delà de l’instant présent, nous devons déjà penser à la nouvelle France qui, pour surmonter le traumatisme collectif provoqué par le Covid-19, devra, tant au niveau national que local, s’employer à relever trois défis incontournables, comme je l’ai fait à Saint-Etienne, dans le projet municipal proposé il y a trois mois, aux Stéphanois : le bien-être social, le développement durable et les valeurs de la République.

Un triptyque qui, à la lumière de l’actuelle crise sanitaire, a pris tout son sens et qui devrait servir de fondement à l’action de l’État et des collectivités locales.

Bien-être social

Le bien-être social doit cesser d’être la variable d’ajustement d’une société faisant du profit immédiat sa seule référence. La société existe par un projet collectif, prenant forme par la Nation, proposé à chacun afin de lui permettre d’exprimer son talent. Le capitalisme, pour efficace qu’il puisse être, n’est qu’un instrument d’allocation des ressources, pas une fin, et ne saurait donc être le seul horizon du citoyen.

Depuis 40 ans, les gouvernements ont placé de fait, au nom de la lutte contre l’inflation, la finance au cœur de toute décision. Les banques centrales sont devenues les supplétifs d’un système faisant de la spéculation le cœur du progrès économique et social, sans que les résultats soient au rendez-vous. L’hyper-capitalisme moribond finira-t-il par donner raison au cadavre desséché du marxisme ? Cessons de nous aveugler et plaçons, comme le voulait le Général de Gaulle, l’homme au centre du système. Nous devons faire de ce dernier l’objectif de toute politique à commencer par le champ économique en rappelant ce principe inscrit, en 1942, dans la Déclaration de Philadelphie : « Le travail n’est pas une marchandise » !

Il est d’abord et avant toute chose un prolongement de l’homme et de son esprit. Il est une des manifestations concrètes de sa dignité qui doit être protégée, à chaque instant par la République. C’est là tout le sens de notre mission d’élu au service de la Nation et du projet collectif dont elle est porteuse.

Le développement durable, projet collectif

Un projet collectif qui doit, et c’est là le second pilier, faire du développement durable un des pivots essentiels des politiques publiques. Nous ne pouvons plus continuer à exploiter, tels des prédateurs sans foi ni loi, notre planète. En ce début d’année 2020, que ce soit en Australie, ravagée par les incendies, ou en Asie, avec ce virus, la Terre ne cesse de manifester son épuisement demandant aux hommes d’être enfin responsables de leurs actes. En renouant avec le long terme, comme horizon temporel de toute décision, qu’elle soit politique, économique ou sociale, nous quitterons cette vulgate du gain immédiat pour retrouver le chemin d’une culture qui privilégie une vision historique de la société.

L’Homme doit, à nouveau, admettre que la Terre nous a été léguée par les générations futures et que nous devons travailler avec elles, par touches imperceptibles, faisant de nous les humbles ouvriers de l’avenir, tels des jardiniers zen capables de penser que tout sera parfait dans 1000 ans, c’est-à-dire bien après leur mort.

Cesser de tout espérer de l’État

Pour relever ces deux premiers défis, nous devrons cesser de tout espérer d’un État dont la crise actuelle met à nu les terribles carences qui affaiblissent les valeurs de la République. Sans doute aussi la faillite d’une supposée «élite», issue des mêmes moules niveleurs, au sein de laquelle domine le court terme devenu le synonyme élégant d’intérêt personnel. L’État Jacobin se meurt devant nos yeux pour avoir tout voulu décider et n’avoir jamais voulu faire des collectivités territoriales et de la société civile de véritables partenaires.

Un projet autour des élus locaux et de la société civile

Le temps est venu pour un projet politique et institutionnel faisant des élus locaux et de la société civile, dont le désir de solidarité s’est encore manifesté avec force depuis le début de la présente crise, de véritables décideurs disposant de leviers d’actions d’autant plus puissants qu’ils correspondront à un véritable partage des compétences avec l’État.

Le modèle girondin doit désormais régir les principes de notre action publique car le bien-être social et le développement durable, intimement liés, ne pourront devenir une réalité que si les collectivités sont, en s’appuyant sur la société civile locale, capables d’agir aux côtés d’un État redevenu, enfin, stratège puisque s’occupant de l’essentiel : l’avenir de la Nation.

« Les civilisations sont mortelles », la nôtre n’échappe pas à cette évidence énoncée par Paul Valéry et l’actuelle crise du Covid-19 vient nous le rappeler avec une rare violence. Saurons-nous trouver la force pour construire cette nouvelle société imposée par la nécessité ? Ou « Aurons-nous besoin de chance ? » comme le demande, en s’adressant aux hésitants, Brecht. De la réponse que nous construirons ensemble, en dépassant enfin certains clivages devenus vains, dépendra l’avenir de la France.

 

 

 

 

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