Entre protection d’un milieu exceptionnel, promotion de ce site, gestion de la surfréquentation et sécurité, le débat est permanent autour du Mont Blanc. L’association Mountain Wilderness plaide, avec raison, dans ce texte que nous proposons sous forme de tribune, pour que la protection de la montagne soit prioritaire, pour que la montagne reste un lieu de liberté, de responsabilité, mais aussi de technique et de formation des pratiquants.
L’affaire défraie la chronique au sein du microcosme alpin : des pieux ont été plantés par les uns –à plus de 4000m d’altitude– pour faciliter l’accès au mont Blanc et retirés par d’autres estimant que l’alpinisme se pratique ”by fair means”.
Cela fait des années que la voie normale du mont Blanc fait l’objet de débats : surfréquentation, mal-fréquentation, gestion, refuges (à construire, à démolir, à rénover), bivouac, couloir de la mort, marchandisation de l’ascension par les agences et autres plateformes de commercialisation…
Pour autant, l’ensemble de la communauté s’était entendu pour défendre malgré tout une certaine éthique des pratiques, caractérisée par une culture partagée de la haute-montagne, de ses spécificités, de ses dangers et de sa difficulté d’accès.
C’est cet état d’esprit qui a présidé le processus d’inscription e l’Alpinisme au Patrimoine mondial immatériel de l’humanité*.
Cette saison, comme partout ailleurs en montagne, le réchauffement climatique s’invite au débat sur la symbolique voie normale du mont Blanc (voie dite “royale”). L’arête des Bosses s’en voit profondément modifiée avec l’ouverture d’une large crevasse qui impose un détour à droite ou à gauche, par de courts passages plus raides qu’à la normale et par un cheminement en pleine face qui rend difficile les croisements. Ces conditions ont conduit à ce que des équipements soient posés pour faciliter l’accès ; ceux-ci ont été partiellement enlevés par Christophe Profit, guide de haute montagne.
Cette situation doit nous amener à nous interroger, sur la pratique de l’alpinisme et le rapport à la montagne qu’elle incarne.
L’éthique de l’alpinisme, celle qui a conduit à son inscription à l’UNESCO, ne devrait-elle pas plutôt inciter à ce qu’on adapte les comportements des alpinistes à l’état de la montagne plutôt que d’adapter la montagne au niveau moyen des aspirants au “toit de l’Europe” ? Afin de faire en sorte qu’ils soient toujours plus nombreux ?
La notion de “sécurisation”, invoquée pour expliquer la pose des pieux, peut-elle justifier tous types d’aménagements dans un espace où la prise de risque est incontournable, et qui est précisément censé permettre aux pratiquants l’exercice de leur libre-arbitre, en responsabilité ? A ce sujet, n’est-il pas de la responsabilité du guide de juger de l’adéquation du niveau de son client à la difficulté de la course envisagée ?
Conditions naturelles
Au sujet de la surfréquentation déplorée sur ce sommet emblématique, est-il logique d’équiper la montagne pour en rendre l’accès plus simple que les conditions naturelles ne le permettent ?
Concernant l’Arrêté de protection des habitats naturels (APHN) récemment pris par le préfet de la Haute-Savoie –largement justifié par une volonté de canaliser la fréquentation– quelle cohérence y a-t-il avec la volonté d’aménager pour faciliter l’accès dès qu’une difficulté apparaît sur cette voie d’accès au sommet ?
Du point de vue de la gouvernance, cet ‘Arrêté de protection des habitats naturels étant doté d’un comité de pilotage, n’aurait-il pas fallu le réunir pour que la question soit débattue collégialement, afin que tous puissent mettre leurs arguments sur la table ? C’est par exemple le cas dans le massif des Écrins, où le Parc national a institué depuis plusieurs décennies une convention entre l’ensemble des parties prenantes pour gérer collectivement l’équipement et les pratiques.
Mountain Wilderness appelle à une meilleure gouvernance dans la gestion et la protection du massif du Mont-Blanc. Sur ce sujet comme sur tant d’autres, nous constatons une fois de plus les problèmes que posent le manque d’espace de concertation active et l’intérêt que pourrait avoir la mise en place d’un organe dans l’esprit d’un “Comité de massif du Mont-Blanc”. Une telle instance, réunissant l’ensemble des parties prenantes, aurait toute sa place pour traiter de ces questions de manière collégiale, en cohérence avec la dynamique générale d’inscription du massif au Patrimoine mondial de l’UNESCO portée par l’Espace Mont-Blanc.
Le mont Blanc est pour beaucoup “la montagne absolue”; faisons en sorte tous ensemble qu’elle le reste.
*Lire sur notre site :
> MW soutient le classement de l’Alpinisme au Patrimoine mondial immatériel de l’UNESCO
> Le Mont-Blanc au Patrimoine mondial de l’humanité ?
*Retrouvez la brochure Réussir le Mont-Blanc, une affaire d’alpinistes