L’ensemble des pêcheurs professionnels en eau douce du bassin de la Loire se mobilise gratuitement pour mener une action d’urgence de translocation d’au moins 500 lamproies marines (Petromyzon marinus). Le 26 avril ils transporteront ces poissons migrateurs depuis l’estuaire de la Loire jusqu’à l’Allier, affluent majeur de la Loire, entre Brioude et Vieille Brioude, en Haute–Loire.
Cette migration par routes, raccourcie par rapport aux 800 kilomètres du cours de la Loire ainsi court-circuités, doit permettre à
l’espèce de se reproduire sur ses sites historiques de nidification encore partiellement indemnes de silures (Silurus glanis). Cette action vise à alerter l’opinion, les gestionnaires, les décideurs politiques et acteurs économiques sur la nécessité de sauver une espèce présente sur la planète depuis 450 millions d’années et qui disparaitra inéluctablement si la France ne renforce pas la liberté de circulation entre ses milieux de vie.
Les obstacles à la migration sont en effet encore trop nombreux pour des poissons migrateurs en danger. Partout en France et en Europe, les populations des poissons migrateurs (anguilles, lamproies, saumons, aloses, esturgeons, mulets, truites de mer) ont dramatiquement diminué principalement du fait de l’accumulation d’obstacles à leur migration et de l’artificialisation de leurs habitats naturels. Sur la Loire et ses sous bassins, en particulier ceux de la Vienne et de l’Allier, les efforts importants ont été entrepris depuis une trentaine d’années dans le
cadre du Plan Loire Grandeur Nature adopté en 1994. Ces plan ont permis d’effacer des barrages (Maisons–Rouges et Saint–Etienne–du–Vigan
en 1998), d’améliorer la continuité écologique par exemple avec la reconstruction par EDF du barrage du Nouveau Poutès. Il a été ainsi possible de redynamiser les populations.
Mais il reste encore trop d‘obstacles importants parmi lesquels : le seuil de la centrale nucléaire EDF de Saint Laurent des Eaux ;
l’ouvrage de navigation des Lorrains (Voies Navigables de France) ; le barrage de Vichy sur lequel une filiale d’EDF, la SHEMA projette de construire une micro–centrale. La lamproie est particulièrement impactée.
Prédation alarmante par le Silure.
Aux obstacles physiques (barrages, bouchon vaseux dans l’estuaire du fleuve…) s’ajoute la prédation exercée par le silure. Une étude globale de la prédation des migrateurs amphihalins par les silures sur le bassin de la Loire, GLANISPOMI, a été portée en 2023 par le MNHN (station marine de Dinard du Muséum National d’Histoire Naturelle. Cette étude confirme des décennies d’alerte des pêcheurs professionnels sur
l’impact du plus gros poisson d’eau douce d’Europe sur la lamproie en particulier. Au moins 82% des lamproies sont prédatées par le silure en Vienne avant d’avoir pu se reproduire et une estimation similaire a été réalisée pour le bassin girondin. La prédation atteint 100% au seuil de Saint–Laurent–des–Eaux.
Le taux d’exploitation de la lamproie par la pêche professionnelle en basse Loire, trop souvent considérée comme l’acteur principal de sa disparition, est quant à lui estimé à 25% par l’étude MNHN–FishPass, un bureau d’études spécialisé en ichtyologie de 2021. Face à l’urgence d’une situation amplifiée par les conséquences du réchauffement climatique (réduction des fenêtres de températures favorables et faibles débits pour la montaison), le déversement d’au moins 500 géniteurs de lamproies prévu sur le secteur de Brioude est ainsi une mesure pragmatique et symbolique de protection des géniteurs, dans l’attente de mesures efficaces de contrôle des populations de silures et de restauration de la continuité écologique que doivent conduire le Ministère de la Transition Écologique et ses services, dont l’Office Français de la Biodiversité, ainsi que les acteurs à l’origine de ces difficultés.
Avec l’accord des services gestionnaires, dont la Dreal de bassin Loire–Bretagne compte–tenu de la situation exceptionnelle, les pêcheurs professionnels en eau douce de Loire–Atlantique et de Loire–Bretagne se mobilisent pour mener à bien cette action, sans aucune compensation financière, avec le concours de la société de mareyage agréée Aguirrebarrena qui assurera gratuitement la collecte et le transport des lamproies jusqu’au site de déversement.
Le comptage des nids de lamproies, au mois de mai, permettra de mesurer l’efficacité de la reproduction des géniteurs grâce aux participations bénévoles de la Fédération de pêche et de Protection des Milieux Aquatiques de Haute–Loire, de l’AAPPMA4 de Brioude et de l’Association de Protection du Saumon. Un suivi des ammocètes (larves de lamproies) pourra être mis en place ultérieurement, celles–ci étant présentes jusqu’à 7 ans sur les sites de reproduction.
La pêche professionnelle au service d’un fleuve vivant
Les lamproies marines sont, comme le saumon atlantique, l’alose, l’anguille et l’esturgeon, des éléments importants de notre culture. Elles ont régalé nos papilles, nourri nos ventres et nos imaginaires pendant des siècles grâce à l’activité des pêcheurs professionnels qui sont des témoins de la qualité de nos fleuves et des emblèmes de paysages fluviaux vivants.
Sauver les lamproies marines, à un moment où grandit l’inquiétude sur l’avenir des milieux aquatiques. Un récent rapport interministériel appelle à un changement radical en matière de gestion de la ressource en eau),illustrera notre capacité collective à fabriquer l’indispensable changement au service d’une transition écologique concrète. Il y a urgence à mettre en œuvre un plan de sauvegarde, avec les solutions nécessaires pour éviter leur extinction.
Pour plus d’informations :
Biologie de la lamproie marine : https://www.lepecheurprofessionnel.fr/poisson/lamproie–marine/
Etude Glanispomi : https://www.lepecheurprofessionnel.fr/silures–et–lamproies–marines–font–bien–mauvais–menage/
Article de F. Santoul sur la prédation de la lamproie marine : https://www.nature.com/articles/s41598–020–62916–w