Alors que la transition écologique impose l’évolution vers une société plus sobre, la consommation excessive d’aliments cause de plus en plus des problèmes de santé publique. Le point avec Martine Laville, Professeur des Universités – Faculté de Médecine de Lyon-Sud et praticienne à l’Hôpital Lyon Sud, présidente du Centre européen pour la nutrition et la santé (CENS) et responsable du Force (Centre d’Excellence Obésité Française), un réseau de recherche sur le traitement de l’obésité.
Enviscope : Les craintes alimentaires liées à l’environnement sont-elles plus souvent attribuées à des polluants, pesticides, ou perturbateurs endocriniens, voire microplastiques, qu’à la surconsommation d’aliments abondamment proposés sur le marché ?
Martine Laville : Il y a effectivement des évènements qui ont marqué les esprits comme l’épisode de la vache folle, dont les conséquences ont été heureusement moins graves que ce qui avait été craint.
Il faut bien sûr surveiller le rôle de substances comme les pesticides dans les produits alimentaires. Des études en laboratoires ont montré, chez des souris, des effets cocktail, lorsqu’on les nourrit avec à la fois une alimentation hypercalorique et hyperlipidique, associée à un mélange de polluants pourtant à des doses dites infratoxiques. On observe alors des effets délétères sur le foie et le métabolisme.
Mais les principales causes de pathologies nutritionnelles sont dues à la consommation excessive d’aliments et à une alimentation déséquilibrée
Quelles sont les tendances observées pour la progression des maladies liées à ce qu’on appelle vulgairement la « malbouffe » ?
Nos avons en effet de plus en plus de cas de surpoids, et des cas d’obésité, dont certains sont très graves et nécessitent des prises en charges spécialisées. Les causes sont nombreuses et certaines ont une dimension culturelle et sociale. On peut pointer par exemple la déstructuration de la prise des repas. Les repas traditionnels répondent à des rituels. Ils ont été préparés pour la famille, le repas pris en commun a un début et une fin après laquelle les convives sont sensés avoir être rassasiés.
Or, de plus en plus de plus de personnes s’alimentent hors domicile, seules, en continu, d’une manière déstructurée, tout au long de la journée, hors de tout rituel collectif organisé, en étant soumises à des sollicitations nombreuses.
Les pratiques alimentaires aux conséquences délétères ont aussi une dimension sociale, elle sont liées à des niveaux de revenus, et sont souvent le fait de personnes appartenant aux milieux les moins favorisés, confrontées à des difficultés d’autres types.
La prévention et le dépistage sont-ils suffisamment organisés ?
Il est évident que le suivi des questions de surpoids et d’obésité n’est pas suffisant, mais la France n’est pas le pays le plus mal placé, par rapport par exemple aux Etats-Unis et à la Grande Bretagne. La prise de conscience existe.
La formation sur ces points est la première demande des médecins généralistes lors des formations continues. Ils sont soucieux de compléter leur formation initiale. La médecine scolaire et universitaire, ne sont pas suffisantes. La suppression du service militaire en mis fin à la prise des mensurations et du poids qui avait permis de suivre des générations de garçons. La journée Defense et Citoyenneté qui concerne aussi les filles ne comprend plus la collecte de ces données et les personnes susceptibles de courir des risques ne sont pas détectées. Le surpoids et l’obésité ne sont pas considérés en elles-mêmes comme des maladies et on en découvre les conséquences bien plus tard.
La communication protège-t-elle suffisamment des groupes comme les enfants qui sont souvent prescripteurs ?
Les enfants sont particulièrement sensibles aux méfaits potentiels de la publicité. La suppression des publicités alimentaires aux moments des programmes télévisuels destinés aux enfants a été bien sûr une avancée mais il est nécessaire de protéger le plus possible les enfants vis-à-vis des publicités.
Les industries agroalimentaires ont-elles pris leurs responsabilités ?
Le secteur agroalimentaire doit faire des efforts bien plus importants mais les résistances sont fortes. Les obstacles sont multiples et les entreprises ne mettent pas toujousr les investissements nécessaires.
Il y a quelques années, le PNNS (Programme National Nutrition Santé) a obtenu l l‘inscription de la mention « manger.bouger plus » au bas des messages publicitaires à la télévision, à la radio, mais ce message ne parait pas d’une grande efficacité, certains ayant tendance à comprendre « vous pouvez acheter ce produit et le consommer, il est bon à la santé, il n’est pas nocif, il suffit de bouger… »
Des progrès sont–ils réalisés ?
Nous avons réalisé des progrès et la France n’est pas la plus mal placée. Le Programme National Nutrition Santé a porté quelques fruits. La mise en place de l’étiquetage Nutriscore, devait apporter des résultats à terme. En effet ces notations permettront au consommateur de repérer les produits les meilleurs pour la santé. Elles pourraient inciter les entreprises de l’agroalimentaire à faire des efforts pour que leurs produits ne soient pas plus mal notés par rapport à ceux de leurs concurrents.
On constate aussi des modifications d’évolution de la consommation, avec le développement de produit bio, une réduction de la consommation de viande rouge, davantage de consommation de protéines végétales. Mais ces évolutions ne concernent que certains milieux, et surtout les jeunes générations, et on est loin d’un changement global des habitudes alimentaires.