Après la fin du Grenelle de l’Environnement et l’annonce d’une loi pour le printemps 2008, Enviscope publiera au fil des prochaines semaines et des prochains mois, entretiens et dossiers pour contribuer à l’information. Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, chercheur à l’Université Joseph Fourier, à Grenoble, défenseur de la liberté de la recherche et de l’expression des chercheurs, voit plutôt les avantages des OGM
Vous trouvez que les critiques des OGM ne reposent pas toujours sur des bases scientifiques sérieuses ?
Faute d’arguments scientifiques pour rejeter en bloc les organismes génétiquement modifiés, bien des critiques reposent sur d’autres positions que strictement scientifiques. Une bonne partie des oppositions dérivent du fait que les OGM ont été produits et développés au début par de grandes multinationales. Il s’agit d’un refus de l’intégration de l’agriculture dans un système économique mondialisé. Des critiques du même type avaient été exprimées lors de la mise au point des premiers maïs hybrides.
Examiner au cas par cas
Passons en revue les risques liés aux OGM, pour commencer le risque de dissémination des gènes ?
Les risques de dissémination des gènes existent soit par la dispersion de graines, soit par la fécondation entre plantes d’une même espèce ou dans certains cas entre espèces apparentées.
Mais il ne faut pas oublier que les flux de gènes, entre plantes de même espèce se produisent dans tous les sens. Dans le cas de la betterave par exemple, des gènes d’espèces sauvages peuvent passer vers les variétés améliorées, et vice versa. Que des espèces améliorées sans transgenèse pollinisent des plantes sauvages de la même famille et y transfèrent certains de leurs gènes ne suscitent pas de polémique, sauf si c’est un OGM ! Pourtant cela s’est produit avec un riz amélioré non-OGM dont les gènes ont littéralement envahi un riz sauvage : le patrimoine génétique de ce dernier a ainsi, d’hybridation en hybridation, été dilué jusqu’à disparaître complètement. La question pertinente n’est donc pas OGM ou pas, mais examen au cas par cas.
Pour le colza, il peut y avoir théoriquement dissémination d’un gène vers des crucifères sauvages proches. Mais après études, seule la navette sauvage est concernée à des taux significatifs, et uniquement dans certains pays européens. Dans nos régions, le maïs n’existe pas à l’état sauvage et n’a aucune espèce de la même famille : ce risque n’existe donc pas.
Aucun effet sur les animaux de ferme
Pour les animaux de ferme ?
Cela est inconnu du grand public : plus de 100 études réalisées sur les animaux de ferme ont toutes montré qu’une nourriture à base d’OGM n’avait pas d’effet nutritionnel. Les spécialistes considèrent cette question scientifiquement tranchée pour les OGM de première génération mais il reste à évaluer les nouvelles générations.
Que peut-il se passer avec un gène produisant une protéine insecticide comme la protéine produite par le gène BT ? Certains évoquent les effets de cette protéine insecticide qui serait ainsi produite en grande quantité par la plante, aboutissant ainsi à une pollution des cultures par la présence permanente d’insecticide ?
Le gène, c’est-à dire un fragment d’ADN parmi beaucoup d’ADN végétal, est présent en permanence dans la plante. Il ne se bioaccumule pas, ni après ingestion, ni dans le sol. Les protéines insecticides codées par ces gènes sont aussi, pour les générations actuelles d’OGM, présentes en permanence dans la plante. Ceci augmente en théorie, c’est vrai, le risque d’effets non-intentionnels. Mais là aussi, il n’y a pas de bioaccumulation. Ces protéines restent mineures parmi toutes les protéines végétales. Les données scientifiques, après études, ne justifient pas un quelconque alarmisme sur ce sujet.
Certains redoutent les effets de cet insecticide après ingestion ?
Le risque numéro 1 à considérer est l’apparition d’insectes devenus résistants à l’insecticide Bt, comme d’ailleurs aux insecticides chimiques, en cas d’utilisation massive. Un suivi et une gestion sont donc nécessaires et réglementairement obligatoires !
Pour la santé humaine ?
Les protéines insecticides Bt ont été évaluées avant autorisation de mise sur le marché des OGM, et d’ailleurs aussi dans le cas d’une utilisation biologique , épandage de la protéine ou des bactéries qui les produisent naturellement. Car, même si quelques différences peuvent exister, il s’agit bien du même principe actif que celui utilisé depuis plusieurs décennies en lutte biologique. Il est révélateur de la nature profonde des allégations anti-OGM de constater la diabolisation des gènes ou de protéines lorsqu’ils sont dans un OGM et leur utilisation autorisée en agriculture biologique lorsqu’ils sont présents dans une bactérie naturelle !
Un moindre impact des plantes Bt sur les insectes
L’avantage pour l’environnement ?
Les études sont concordantes pour montrer un moindre impact des plantes Bt sur les insectes utiles par rapport aux insecticides chimiques, et seulement un effet très limité sur les populations de certains insectes utiles lorsque on compare les plantes Bt à un cas de figure sans traitement chimique. Cela est remarquable si l’on considère que la grande efficacité insecticide de ces plantes. Cela est lié à la spécificité des protéines Bt d’une part et à son confinement dans la plante d’autre part.
Concernant le maïs, quel sont les avantages des maïs modifiés ?
Il existe plusieurs méthodes de lutte contre les insectes pyrale ou sésamie. Les insecticides ont une part de marché mais sont souvent jugés onéreux par rapport aux bénéfices obtenus. La lutte biologique avec du trichogramme a aussi des adeptes. Elle a l’avantage de n’avoir, à ce jour, aucun effet connu sur l’environnement, mais son utilisation efficace est plus complexe qu’un maïs Bt. Les maïs Bt sont simples d’utilisation et efficaces car, produit par la plante, la protéine insecticide ,contrairement aux traitements externes, chimique ou biologique, atteint la pyrale même lorsque celle-ci est cachée à l’intérieur de la plante.
Les études sont aussi concordantes sur une plus faible contamination des maïs Bt par des mycotoxines , produits par des champignons opportunistes, à la suite des blessures causées par la pyrale. Il s’agit donc d’un bénéfice pour le consommateur.
Une logique de confrontation
Le débat peut-il se résumer à l’opposition de deux camps, les irréductiblement contre, et les irréductiblement pour, dont feraient partie des scientifiques, accusés en quelques sorte d’être les tenants d’une foi dans la science ?
Le débat n’avance pas si les uns sont accusés de scientistes et les autres d’obscurantistes. La logique de confrontation est habilement entretenue par les opposants : ils savent instrumentaliser les médias et misent sur la pusillanimité des élus face aux lobbies environnementalistes. Quant aux scientifiques apolitiques, ils sont quasi absents du débat.
Quelle attitude les scientifiques, et la société doivent-il adopter par rapport à la technologie OGM ?
Les scientifiques ne sont pas les décideurs. Les consommateurs doivent avoir le choix de consommer ou non des OGM (d’où la législation européenne sur l’étiquetage et la traçabilité). Et les agriculteurs la liberté de les utiliser ou non. Cela suppose l’acceptation de règles de coexistence réalistes et de taux plafond de présences fortuites d’OGM, comme cela est d’ailleurs le cas pour les pesticides. Sinon une forme d’agriculture tue l’autre. Il faut expliquer aux citoyens que c’est là le but de certains groupes politisés, mais que cela va contre l’intérêt général, car la technologie transgénique sera demain un outil précieux , pas le seul, mais précieux quand même, pour une agriculture qui réduit son impact sur l’environnement.
Recueilli par Michel Deprost
Marcel Kuntz, est membre du comite d’evaluation OGM de l’Agence
Nationale de la Recherche (ANR) et il est l’auteur du livre “Les OGM, l’environnement et la Santé” (Editions Ellipses)