Les tout derniers résultats de recherches issus de l’analyse du climat et du système terrestre montrent de plus en plus nettement quels sont les objectifs à atteindre en matière de lutte contre le changement climatique si l’on souhaite limiter le risque de mutations environnementales incontrôlables. Une hausse de plus de deux degrés Celsius des températures terrestres aggraverait massivement le risque d’atteindre des points de non retour écologiques mondiaux comme la fonte du Groenland ou la disparition de la forêt tropicale.
Afin de ne pas en arriver là, une diminution de plus de 80% des émissions des pays industrialisés est indispensable d’ici à 2050. Cela équivaut pratiquement à un abandon total des énergies fossiles. Impossible sans une réduction massive de la consommation d’énergie, une amélioration de l’efficience énergétique et le déploiement massif des énergies renouvelables.
Réduire la consommation énergétique des deux tiers
Le passage à “une société 2 000 watts”, comme l’ont recommandé les chefs de gouvernement des pays alpins lors de la 40 ème conférence plénière de la communauté de travail des pays alpins (Arge Alp), pourrait constituer une étape décisive vers ce tournant énergétique. Dans l’espace alpin, il faudrait réduire d’environ deux tiers le recours à l’énergie afin d’engager un grand pas en direction de l’objectif fixé, à savoir une hausse maximum de 2 degrés de la température mondiale. Ainsi diminué, le besoin en énergie pourrait être bien plus facilement couvert par les énergies renouvelables que celui de notre consommation actuelle.
Energie : l’espace alpin ne respecte pas développement durable
Le recours à des énergies fossiles est l’une des principales causes du changement climatique d’origine humaine. La combustion du charbon, du pétrole et du gaz entraîne entre autres le dégagement de CO2, le plus important des gaz à effet de serre. Dans les Alpes, le recours à l’énergie a presque doublé depuis 1970 – l’espace alpin contribue ainsi massivement à l’effet de serre.
L’augmentation du recours à l’énergie dans les pays alpins au cours des dernières décennies a essentiellement concerné le gaz naturel, l’électricité, la biomasse et le chauffage à distance. Cela a entraîné un « découplage relatif » entre la consommation d’énergie et les émissions de CO2 : par unité d’énergie consommée, le CO2 émis est aujourd’hui moins élevé que dans les années 1970. Cette amélioration d’efficience a cependant été largement surcompensée par la hausse de la consommation d’énergie : un bon exemple de « l’effet rebond », si lourd de conséquences.
Que peuvent réellement apporter les stratégies climatiques ? Les pays alpins (hors Monaco) se sont engagés, dans le protocole de Kyoto, à réduire d’ici à la période 2008-2012 leurs émissions annuelles de gaz à effet de serre à 92% de la valeur de 1990. L’UE prévoit à présent une nouvelle réduction de leurs émissions à 70% de la valeur de 1990, une étape intermédiaire décisive en direction de l’objectif des deux degrés. En décembre 2008, le Parlement européen a adopté à cet effet le « paquet énegie-climat » qui vise notamment l’amélioration de l’efficience énergétique et un recours accru aux énergies renouvelables.
Une question reste cependant en suspens : comment l’UE et/ou ses Etats-membres envisagent-ils de contrer cet effet rebond ? La réponse devrait indiquer si un « découplage absolu » est possible, c’est-à-dire une réduction du recours à l’énergie et des émissions tout en poursuivant la hausse de la croissance économique. Un tel découplage pourrait être obtenu grâce à une réforme fiscale socio-écologique (allègement des charges sur le travail, imposition accrue de l’utilisation des ressources).
Energie climatiquement neutre dans les Alpes
Une transformation radicale de l’approvisionnement énergétique, aboutissant à un système le plus respectueux possible du climat mais aussi durable aux plans écologique, économique et social, est à présent demandée. Le recours à des technologies efficientes en énergie est une composante essentielle, mais celle-ci resterait largement insuffisante si elle était la seule mesure prise. Seules des réformes d’ensemble, dans les secteurs des impôts et des charges (réforme fiscale socio-écologique), des infrastructures et de l’aménagement du territoire (formes d’urbanisation et d’économie limitant les déplacements, structures d’approvisionnement en énergie efficientes au plan climatique) et de l’économie (axée sur la qualité de vie plutôt que sur des objectifs de croissance quantitatifs), peuvent permettre d’atteindre ce but. L’approvisionnement énergétique doit en outre s’adapter au changement climatique actuel et futur, donnée devenue incontournable. Cela concerne par exemple la production hydroélectrique qui sera massivement concernée par le changement climatique, en particulier impactée par la fonte des glaciers. L’agriculture et la sylviculture, et donc la production d’énergie à partir de biomasse, doivent elles aussi s’adapter.
L’amélioration de l’efficience énergétique et le recours aux énergies renouvelables doivent aller de pair. L’espace alpin a des potentiels en force hydraulique et éolienne, en énergie solaire et en biomasse. Leur utilisation exerce un effet positif sur l’emploi local car la richesse créée reste dans la région. Ces énergies réduisent en outre la dépendance aux importations provenant de pays présentant un risque politique et renforcent donc la sécurité de l’approvisionnement en énergie. Mais même les énergies renouvelables comme la biomasse, la force hydraulique et la force éolienne peuvent avoir un impact négatif élevé sur les écosystèmes et l’aspect des paysages. Leur extension « à tout prix » n’est pas une solution.
Le compact Energie de cc.alps indique des possibilités de premières étapes pour un passage à un système énergétique climatiquement neutre et durable dans les Alpes. Où existe-t-il des potentiels d’économie d’énergie qui ne soient pas au détriment des plus défavorisés ? Quelles sont les énergies renouvelables pouvant être exploitées de manière rentable sans dépasser des limites écologiques de durabilité ? Les potentiels de ce que l’on appelle les « nouvelles énergies renouvelables » sont-ils d’ores et déjà surestimés ? Des exemples concrets montrent dans quels secteurs des étapes ont déjà été franchies, et ce dans la bonne direction.
Centrale thermique de Toblach
La centrale de chauffage urbain (“à distance” ou “de district”)) de Toblach illustre la manière dont le chauffage peut être produit durablement à partir de la biomasse dans les Alpes: depuis novembre 1995, la centrale organisée sous forme de coopérative transforme les déchets de l’industrie du bois locale en chauffage urbain. Depuis 2003, elle produit même de l’électricité. Aujourd’hui, elle fournit à plus de 1 000 foyers à Toblach et à Innichen 50 millions de kilowatts-heures d’énergie par an. Elle aide ainsi les usagers non seulement à réduire leurs émissions de CO2, mais aussi à réduire leur facture : les usagers du chauffage urbain paient 40% de moins par rapport à un chauffage traditionnel au fuel.
Ecole de l’énergie de Haute-Bavière
A “l’école de l’énergie” de Haute-Bavière, la fourniture d’énergie durable est comprise comme une mission éducative. L’école mise sur des projets innovants de formation permettant aux enfants et aux adolescents de se familiariser avec les exigences et les possibilités des énergies durables : les élèves travaillent manuellement et artistiquement sur les énergies renouvelables et ont plusieurs opportunités d’échanger avec des acteurs du monde professionel. A travers ses activités, l’école de l’énergie de Haute-Bavière sensibilise les usagers de demain.
Simone Gingrich, Veronika Gaube, Helmut Haberl.Simone Gingrich, appartient à lInstitut d’écologie sociale, université Alpes-Adria de Klagenfurt – Graz – Vienne Schottenfeldgasse 29, 1070 Vienne, http://www.uni-klu.ac.at/socecc.alps en bref
Le projet « cc.alps – changement climatique : penser plus loin que le bout de son nez ! » est porté par la Commission internationale pour la protection des Alpes – CIPRA – et financé par la Fondation MAVA pour la nature. Avec ce projet, la CIPRA contribue à ce que les actions climatiques engagées dans l’espace alpin respectent le principe du développement durable.
Dans le cadre de cc.alps, 11 compacts sont en cours d’élaboration sur les thèmes de l’énergie, la construction de logements, la protection de la nature, les risques naturels, l’autarcie énergétique des régions alpines, le tourisme, l’aménagement du territoire, les transports, l’agriculture, la sylviculture et l’eau. Ils seront eux aussi prochainement mis à disposition sur www.cipra.org/cc.alps.
Base de données des actions climatiques exemplaires :
http://www.cipra.org/fr/cc.alps/resultats/bons-exemples
Le texte intégral du compact de la CIPRA sur le changement climatique et l’énergie peut être téléchargé depuis www.cipra.org/cc.alps .