Dans les milieux d’eau douce, le réchauffement et l’excès en nutriments réduisent la diversité des réseaux alimentaires aquatiques essentiels à la bonne santé des écosystèmes. C’est ce qu’ont montré des scientifiques d’INRAE, de l’université d’Oxford, de l’université de Sheffield et de l’université Savoie Mont Blanc, en combinant des données provenant de lacs et rivières en France. Ces résultats, publiés dans la revue Ecology Letters, montrent que l’effet combiné de ces deux facteurs de stress réduit la présence des gros poissons, situés en haut de la chaîne alimentaire.
Les écosystèmes d’eau douce ( torrents, rivières, étangs, lacs) subissent de nombreuses pressions provenant des activités humaines. En Europe, seulement 38 % des écosystèmes d’eau douce possèdent une bonne qualité chimique, et 40 % affichent une bonne qualité écologique (1) .
Les populations de poissons migrateurs d’eau douce (saumons, truites, anguilles, etc.) ont reculé de plus de 80 % depuis 19702. Les lacs constituent de véritables pièges climatiques pour les poissons car la dispersion est impossible. En France, environ 30 000 ouvrages jalonnent les cours d’eau (barrages, ponts, etc.) et perturbent les migrations.
Eutrophisation et température de l’eau
Ces contraintes rendent les poissons d’eau douce très vulnérables aux facteurs de stress comme l’eutrophisation. Cette dernière se définit comme un excès de substances nutritives dans les milieux aquatiques. Parmi les stress figure de plus en plus l’augmentation de la température des eaux liée au changement climatique.
Jusqu’alors, peu de recherches à l’échelle des communautés avaient étudié les effets de ces deux facteurs, et encore moins de manière combinée. Des scientifiques d’INRAE, de l’université d’Oxford, de l’université de Sheffield et de l’université Savoie Mont Blanc ont cherché comprendre comment ces deux facteurs affectent la structure des réseaux alimentaires d’eau douce, essentielle au maintien du bon fonctionnement des écosystèmes.
256 lacs et 373 cours d’eau échantillonnés sur 10 ans
Ils se sont appuyés sur des données recueillies durant plus de 10 ans dans le cadre des programmes de surveillance de l’état des eaux exigée par la Directive-cadre sur l’eau. Les échantillons ont été tirés de 256 lacs et 373 cours d’eau ce qui a permis le regroupement d’informations sur les poissons (taille, nombre, espèces) et sur la qualité de l’eau (température, charge en matière organique).
Un modèle mathématique basé sur la taille des poissons d’eau douce et de données de régime alimentaire des espèces, a permis de reconstituer les réseaux alimentaires de chaque site. Des modèles statistiques ont permis de tester les effets additifs ou interactifs de la température de l’eau et de charge en matière organique sur la structure des réseaux alimentaires.
Des effets combinés plus intenses
Les résultats montrent que les effets combinés du réchauffement et de l’enrichissement en nutriments sont plus prononcés que les effets individuels additionnés. Leur interaction provoque une simplification des réseaux alimentaires d’eau douce. Les lacs et les cours d’eau présentant des températures et niveaux d’enrichissement en nutriments plus élevés offrent des réseaux alimentaires moins complexes, avec une perte des prédateurs en haut de la chaîne alimentaire. Une des hypothèses serait le manque d’oxygène souvent constaté dans ces milieux aquatiques riches et chauds auxquels les prédateurs du haut de la chaîne alimentaire sont le plus sensibles.
Ces découvertes indiquent que le changement climatique risque d’aggraver fortement l’état des écosystèmes d’eau douce déjà dégradés par l’eutrophisation. Elles soulignes l’importance de traiter simultanément les impacts de ces deux facteurs pour maintenir la complexité des réseaux alimentaires qui est essentielle pour garantir un bon fonctionnement des écosystèmes, comme la circulation de la matière et l’énergie et la régulation de la qualité de l’eau.
[1] Commission (2021) européenne. Rapport de Directive cadre sur l’eau.
[2] Deinet S., Flint R., Puleston H. et al. (2024) The Living Planet Index (LPI) for migratory freshwater fish 2024 update – Technical Report. World Fish Migration Foundation, The Netherlands.
Référence Bonnaffé W., Danet A., Leclerc C. et al. (2024), The interaction between warming and enrichment accelerates food-web simplification in freshwater systems. Ecology Letters, DOI :