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René Dumont il y a 50 ans : nous devons changer de croissance

1974, René Dumont est le premier candidat écologiste à une élection présidentielle. Michel Deprost est étudiant au Centre de Formation des Journalistes ( CFJ) , à Paris, depuis septembre 1973 date du premier choc pétrolier. Il s’intéresse aux questions de l’époque : sous-développement, Tiers monde, mais aussi aux travaux du Club de Rome et d’Aurelio Peccei, comme au rapport Meadows,  dont le titre américain  » Limits to growth » , limites de la croissance est traduit par  » Halte à la croissance » . Michel Deprost décide de rencontrer René Dumont, auteur de l’Afrique Noir est mal partie, et du livre  » L’Utopie ou la mort ». Le texte qui suit est la publication de la copie d’étudiant de l’époque, il y a cinquante ans, qui pourra être envoyée aux personnes intéressées.

ansRené DumontLe chapeau de l’exercice est le suivant. René Dumont, agronome a début de sa carrière il y a cinquante ans, est devenu au fil des ans un spécialiste des problèmes du Tiers monde et du sous-développement.  Ses voyages d’études longs et nombreux en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud, ont fait de lui un « sage » écouté des chefs des états en voie de développement de Fidel Castro à Léopold Sédar Senghor. Son livre « L’Utopie ou la mort »  paru l’an dernier ( l’entretien est de mars 1974)  est devenu d’une actualité brulante ces derniers mois avec la révolte des pays arabes producteurs de pétrole et l’ébranlement de notre civilisation fondée sur l’automobile et la consommation à outrance. Dans l’interview qui suit, réalisé à l’Institut National d’Agronomie où il enseigne, il livre les réflexions qui lui ont inspirées ces évènements.

Question : Lors que vous avez écrit votre livre l’Utopie ou la Mort, paru l’année dernière, pensiez-vous que certaines de vos prévisions allaient se réaliser aussi rapidement, je pense à la révolte des pays producteurs de pétrole ?

René Dumont : Sûrement pas. En 1966 j’avais annoncé dans un livre la situation de l’agriculture et ce avant le Club de Rome. Je n’avais pas conscience des problèmes en ce qui concerne les ressources minérales. L’Utopie et la Mort a été écrit de juillet à novembre 1972, il est paru en mars 1973, J’y reprenais les conclusions de centaines de chercheurs et celles du Club de Rome, en me plaçant du point de vue de pays sous-développés. Je ne prévoyais pas la « révolte » dont vous parlez .

Séquelle issue voyez-vous à la crise actuelle ?

René Dumont : A long terme ce sera une catastrophe pour les pays sans ressources pour l’Inde et pour le Bengladesh. Que vont faire les pays arabes, les nouveaux riches ? Pratiquer deux prix du pétrole,  du pétrole cher pour nous, du pétrole bon marché pour le reste du Tiers-monde ? . La solution n’est pas là je crois. Mieux vaut un seul prix du pétrole et un renforcement de l’aide occidentale au Tiers-monde.

Les menaces de Gérald Ford qui annonce son intention de ne pas donner à manger aux Indiens sont inutiles. L’emploi de la force est impossible au Moyen Orient sans l’avis des Russes et les Russes ne vont pas laisser les Américains occuper militairement leur allié arabe. La solution consiste à négocier de bloc à bloc, les Européens étant unis dans un front commun,  ayant des visées différentes de celle de l’OCDE. Ce sont là des vœux pieux. La prospective est difficile. Tout dépend du rapport de force.

Question : La crise actuelle des matières premières peut-elle s’étendre à d’autres ressources que le pétrole ?

René Dumont : Après le pétrole je vois comme cibles possibles le cuivre. Le Pérou peut s’unir au Chili car tous deux ont des régimes  durs nationalistes. Ils peuvent s’unir à la Zambie. Le Maroc a triplé déjà les prix de ses phosphates. Pour les produits agricoles, les prix du caoutchouc et du coton ont également augmenté. On va peut-être aussi vers un front commun des vendeurs de thé.

 

Question : Quelle peut-être, à votre avis la force du Tiers Monde ?

René Dumont :  La force est dans l’union. L’union est nécessaire. Les Arabes l’ont compris. Depuis quinze ans ils disposent d’un « bargaining power » d’une puissance de négociation. Les pays du Tiers Monde se sont déjà regroupés dans le Groupe des 77 issus du congrès de la CNUCED ( 1) . Le groupe rassemble des pays très réactionnaires et des pays très progressistes. A une échelle plus petite, il peut y avoir des organisations continentales (Association Latino- Américaine pour le Commerce Extérieur, ALAC) A une échelle plus petite encore, des unions régionales, comme l’Union Andine. En Afrique aussi des unions devraient exister, entre la Guinée et la Mauritanie pour la bauxite et le fer. Comme pour la classe ouvrière, la division nuit à la victoire. L’unité, telle est la solution.

Question : Quel modèle de développement proposez-vous ?

René Dumont : Le Club de Rome propose l’arrêt de la production industrielle et de la croissance démographique. Il faut stopper la population des pays riches, supprimer les primes à la natalité, comme les allocations familiales   qui sont criminelles. Il faut imaginer une autre croissance, une société sans automobile et sans armes.  Je parle un peu en tant que vieux paysan. Le cycle de la vie à la ferme est un modèle idéal. Rien ne s’y perd . Les déjections animales servent à l’amendement des sols, les sols produisent de la nourritures pour les animaux.

 

Question :  Vous avez cité la Chine en exemple ?

René Dumont : Oui, mais pour les pays sous -développés seulement. Pour nos pays, il faut imaginer un autre type de croissance, je viens d’en parler. Je voudrais préparer un livre sur la Chine. Je dois y aller depuis trois ans. Mais là-bas, on me connait, on sait qu’on ne peut pas me raconter n’importe quoi et que je suis curieux. J’attends donc…

Question : Etes-vous-optimiste ?

René Dumont : Optimiste, bien sûr. Sinon je ne serais pas là. J’ai fait construire une bastide en Provence. Si je n’étais pas optimiste, je serais en ce moment tranquillement allongé dans une chaise longue Je ne donnerais pas les trois conférences par semaine que je donne en moyenne e actuellement, je ne serais plus ici à l’Agro.

Recueilli pat Michel Deprost, mars 1974. redaction@enviscope.com

 

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