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Un colloque pour que Tchernobyl et ses victimes ne soient pas oubliés

Ne pas oublier Tchernobyl. Hélène Blanchard, vice-présidente de Rhône-Alpes pour l’environnement et la prévention des risques, a cité Koffi Annan, qui, quand il était Secrétaire général des Nations Unies expliquait qu’il ne fallait pas oublier la catastrophe pour deux raisons. Oublier Tchernobyl, c’est s’exposer à voir se renouveler une catastrophe de même ampleur. Oublier, c’est abandonner 7 millions de personnes qui ne peuvent vivre sur leur terre.


Le colloque « Vivre après Tchernobyl », commencé ce jeudi matin à l’Ecole Normale Supérieure de Sciences de Lyon, qui se poursuit ce vendredi , a pour objet de revenir sur les conséquences à long terme de la catastrophe.


Contamination des milieux


Le premier constat a porté sur la contamination des milieux. Rose GONCHAROVA (Biélorussie), Professeur responsable du laboratoire de Sûreté génétique à L’Institut de Génétique et de Cytologie à l’Académie Nationale des Sciences en Biélorussie, a mené des recherches sur les conséquences génétiques. « La contamination par des dépôts de césium a touché toute l’Europe, mais c’est surtout le territoire du Bélarus qui a été touché. Les valeurs de césium et de strontium dépassent toutes les planchers reconnus de façon permanente et notre laboratoire a étudié les effets sur les cellules animales et germinatives »


Aujourd’hui, en Bélarus, les aliments sont particulièrement contaminés. Pour la viande de bœuf, elle est presque de 500 becquerels par kilo, pour le lait de 100 Becquerels par litre, alors qu’en France, la contamination admise est de 01 ou 0,3 becquerel par litre. « La contamination est suivie partout. Nous avons créé sept laboratoires mobiles pour évaluer la contamination de 250 000 enfants dont seulement 10% expriment moins de 20 Becquerels par kilo. L’alimentation est contaminée par du césium qui restera à la surface des sols pendant des dizaines d’année”


Angelina NYAGU, Docteur au centre de médecine radiologique de Kiev et présidente de l’association “Les médecins de Tchernobyl” insiste aussi sur les pollutions des sols, des milieux aquatiques en césium et en strontium. Or, huit millions de personnes boivent de l’eau du Dniepr et 30 millions utilisent cette eau pour des besoins agricoles.



Effets à faibles doses



La pollution des milieux et des aliments, même à faibles doses a plusieurs conséquences. « Nous nous sommes intéressés à l’effet sur la santé d’exposition à faibles doses des rayonnements ionisants. Certaines études internationales affirment qu’il n’y a qu’une augmentation du cancer de la thyroïde, sans augmentation de la fréquence des cancers sur d’autres organes. Nous avons des informations contraires, et on peut calculer à partir des doses à des effets cancérigènes » explique Rose GONCHAROVA. En 1985, la Biélorussie les personnes en bonne santé,représentaient plus de 80% de la population . Actuellement, 30% seulement des habitants de certaines régions sont en bonne santé et seulement 13% d’enfants sains. « Le problème n’est pas de faire revenir des personnes dans les zones, c’est de maintenir la santé des habitants qui y sont restés ».



Les chercheurs biélorusses ou ukrainiens présents ce jeudi, ont indiqué que de plus en plus d’études concluent à des liens entre pathologies et exposition à des doses moins fortes que les doses provoquées par l’explosion. Ils expliquent qu’il faut étudier la population touchée par des cancers, s’intéresser aux effets non tumoraux, aux pathologies cardiaques, au cancer du sein. Ils ont exprimé leur divergences avec les chercheurs du reste de la communauté scientifique mondiale, en particulier les chercheurs d’organismes dépendants de l’Organisation Mondiale de la Santé, de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique.


Comparaison avec Hiroshima


Les thèses en présence sont les suivantes. Les chercheurs de l’Organisation Mondiale de la Santé, et de nombreux experts du cancer et des expositions aux radio-éléments, prennent comme référence les effets bombardements de Hiroshima et de Nagasaki qui ont causé par effet de flash, des conséquences quasiment immédiates. La conclusion dominante est que les effets de la catastrophe de Tchernobyl ont été immédiats. Les effets à termes sont considérés comme inexistants, ou dus à la dégradation des conditions de vie depuis vingt ans. « On nous dit qu’on a des problèmes causé par la pauvreté, l’alcoolisme» explique un chercheur. Or les chercheurs présents ce jeudi estiment que les problèmes de santé sont bien dus aux contaminations. En l’absence des chercheurs mis en cause, les échanges n’ont pu prendre la forme d’une véritable controverse scientifique.



Effets à long terme au Japon aussi


Plusieurs études montrent que des les effets de la catastrophe ne sont pas seulement immédiats. Il a été rappelé ce jeudi, qu’au Japon, longtemps après les bombardements atomiques, on a observé leucémies et thyroïdes. Déjà en 1974 les premiers travaux ont parlé d’autres tumeurs chez des individus exposés à des doses très faibles et ces personnes sont toujours surveillées.


Les divergences ne sont pas seulement scientifiques et médicales. Elles révèlent, selon les échanges d’hier, des divergences plus profondes.


Prise en charge insuffisante des victimes


La négation des effets à terme de la catastrophe ralentit la prise en charges des malades, en particulier des enfants. Vassili NESTERENKO (Biélorussie), Physicien, ex-directeur de l’Institut de l’Energie nucléaire de l’Académie des sciences de Biélorussie est depuis 1990, il est directeur de l’institut indépendant biélorusse de protection radiologique « Belrad » qu’il a créé en 1989. L’institut mesure la radioactivité dont sont porteuses les victimes, en particulier les enfants.


Il développe aussi l’utilisation de pectine, un aliment à partir de pommes, qui absorbe et permet d’éliminer le césium. Faute de soutien, les 270 centres qui distribuaient la pectine ont fermé. La prise en charge des enfants (voyages à l’extérieur, modification de l’alimentation, prise de pectine) permet de réduire les doses exprimées, mais elle est aussi difficil


Un crime


Pour Youri BANDAJHEVSKY (Biélorussie), spécialiste d’anatomie pathologique, ex-recteur de l’institut étatique de Gomel, l’absence de prise en charges des populations, en particulier des enfants, est un crime. Pour lui les expositions aux effets du nucléaire sont plus anciennes que la catastrophe. Cette dernière a servi de révélateur d’un crime d’Etat qui a consisté à exposer pendant des années, avant même la catastrophe, à des radiations. La présence de contamination antérieure peut à la fois masquer, mais aussi préparer le terrain pour des effets cumulés. Les obstacles à la recherche constituent aussi des éléments criminels de la part de l’Etat biélorusse.



Mais la négation de la situation écologique et sanitaire en Bélarus est aussi lourde de signification pour la gestion de l’énergie nucléaire. Les positions de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), de l’OMS, sont interprétées comme un alignement sur les positions du « lobby » nucléaire. Taire, minimiser les conséquences de Tchernobyl, permet en effet de relancer la technologie nucléaire.


La gestion du dossier Tchernobyl, sur le plan de la rigueur scientifique, est donc capitale, sur le plan social, pour les adversaires de la technologie nucléaire, mais aussi pour ses partisans qui veulent être responsables et honnêtes.



Les débats de l’après-midi, ont logiquement élargi les échanges aux rôles, en France, de la presse et des chercheurs. Maryvonne DAVID-JOUGNEAU (France), une des fondatrices de l’Ex-Comité BANDAJHEVSKY, a souligné combien il avait été difficile de sensibiliser les médias au dossier Youri Bandajevki, quand ce dernier était privé de liberté en Belarus. Elle a mis en cause l’indépendance des chercheurs, la domination de la science anglo-saxonne et l’insuffisance de la prise en compte de la recherche en langues slaves. Jean Claude Dautret, de l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest ( ACRO) a rapporté des actions menées par l’association en Bélarus. Il a insisté sur l’ampleur des contaminations de milieux, dont certaines dureront des milliers d’années, et les lacunes de la connaissance scientifique sur les effets des faibles doses à long terme. De quoi justifier, par rapport au nucléaire, la plus grande prudence.



Michel.deprost@free.fr



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